L'histoire entre Born Bad Records et Ruth est déjà ancienne. En 2006, le label sortait la compilation Bippp French Synth-Wave 1979/85. C'était la deuxième sortie du label naissant et la galette regroupait alors treize groupes méconnus : Deux, Les Visiteurs Du Soir, Comix, Marie Möör, Vitor Hublot, Ruth et d'autres.
Il aura donc fallu plus de quinze ans pour aboutir à une réédition de ce mini album de sept titres, bien moins léger et fun que ne le laisse penser le titre tubesque "Polaroïd/Roman/Photo". Par exemple, le titre suivant, "She brings the Rain" (la reprise de Can) se base sur une montée lancinante et répétée en boucle, des voix travaillées en plusieurs sources et une superposition de notes aigrelettes à la guitare ainsi que des bruitages. On a quelque chose de la tenue de KaS Product lorsque le duo donnait dans la relecture bluesy. C'est ambiancé et noir, pas loin non plus des recherches primales de Lydia Lunch sous son nom propre. "Mabelle" va plus loin encore en piochant dans les expérimentations des Talking Heads ou dans la scène Ethiopiques, inventant quelques années avant l'heure une world music (que poursuivait de l'autre côté du spectre Manu Dibango) synthétique et aérée. "Misty Mouse" est une sorte de comptine décalée, entre esprit sixties et travail à la Nini Raviolette. La voix mutine de Frédérique Lapierre distille ses provocations vulgaires. "Tu m'ennuies" creuse plus cette veine du conte sur une musique minimaliste électronique. C'est un témoignage des recherches sur une chanson française pop renouvelée.
Pour retrouver l'aspect minimal – synth, il faut associer "Polaroïd/Roman/Photo" au drôlement réussi "Mots", entre Jacno et un générique de dessin animé (la trompette de Frédérique Lapierre et la flûte mutine de Marc Duconseille).
Sorti en 1985, ce court album fut longtemps la seule trace laissée par le groupe (en incluant son 45 tours) puisque Thierry Müller se taira sous ce nom jusqu'en 2007 et une sortie chez Poutre Apparente. Le label ajoute cinq pistes supplémentaires. Elles permettent de vérifier l'historique du projet, dont les balbutiements remontent à 1979 ("Mabelle" et sa démo fabuleuse, basée sur la voix traitée en mode symphonique) et sa vitalité actuelle. Ce sont des versions alternatives : "Sans Mot" est une relecture déstructurée à la N.I.N. du tube incontournable, le premier mix dure presque sept minutes, accompagné après un blanc d'une séance expérimentale à la Szajner. Un inédit est proposé : "Lapinroïd", lui aussi baigné de triturations électroniques.
De cette sortie, on dira qu'elle fait office de témoignage pour les inconditionnels de la période échaudés par les prix prohibitifs de la revente liés à la spéculation (malgré l'édition de 2015 chez Angular Recordings, elle aussi épuisée). Ruth gardera néanmoins sa place en deuxième division, la faute à une ligne directrice qui manquait de force (Opera Multi Steel, Jacno, KaS Product, Ptôse garderont nos préférences...). Ilitch nous semble aujourd'hui bien plus pertinent en termes de soutien nécessaire.
