Les premiers morceaux, clairement, nous le faisaient pressentir. Confortés alors avons-nous été courant 2022 par l’initiative, prise par Black God Records, de rassembler les premiers morceaux de 2021 sur un format EP : sang neuf pour les musiques sombres de France comme d’ailleurs, Sang Froid, projet réunissant des membres de Regarde Les Hommes Tomber et de The Veil, était susceptible, à terme, de générer son culte. Et le style éclatant des premiers essais, mû par ce que certains nomment "l’énergie des débuts", ne se dissout en rien sur le premier format long All-Nighter, fruit des efforts entrepris et concrétisés par le groupe avec Benoît Roux aux studios Drudenhaus. En 2023, une identité s’affermit.
À la fois pétri de références mais fermement arrimé au désir d’offrir au rock sombre de nouvelles formes, All-Nighter ouvre un éventail familier mais ragaillardit par sa fraîcheur. Un disque à guitares, mais dansant et sustenté par les sources de la synthèse. "Eternal Light" et ses parures machinistes en mixtion avec la substance organique, a offert un judicieux teasing : de corps et d’esprit, cette musique est partie de plaisir autant que moment à investir pour soi, sur soi. Qualités physiques et d’atmosphère : à la fois d’intériorité mais mû par un sens du spectacle, All-Nighter est un équilibrisme. Les guitares préfèrent le chrome au plomb, et leurs détails se remarquant d’autant plus qu’elles procèdent par l'économie ("Lymphatic"). Non, elles ne domineront pas tout ; et c’est dans ce jeu de saillances entre l’organique et le synthétique, que la distinction du son du groupe se réalise.
Il y a une élégance. Les couches synthétiques étalées par Ben Notox disséminent le givre et contrebalancent astucieusement les fragrances plus héroïques des guitares de J.J.S.. Quant au chant medium-grave de TC, connu pour de pures extrémités dans Regarde Les Hommes Tomber, sentez le prendre ici posture plus charnelle, enveloppante ("House of Resignation"). Force de suggestion en ce qui jaillit de la colonne d’air : le chant respire ("Grace & Doom") et déambule autour d’un beat assis ("The eleventh Dawn"). Dans Sang Froid et en particulier sur All-Nighter, TC donne autre chose de lui et touche par la justesse, les manières maîtrisées, la suggestion fatale (un poignard sur "Inquisitive Nature").
La nuit forme un décorum, frontal tant dans le titre et le visuel de l’album que dans les déclinaisons thématiques. Les cloches sonneront. Mais cette nuit ne produit pas un simple argument cinématographique (ténébreuse hypnose que celle de "Nighttime"). En filigrane, le décorum pose la question de l’ambivalence de notre relation à notre part charbon : l’accepter, la repousser ? Que faire de cette nuit, et à quel point sa gouvernance est-elle possible, souhaitable ? À quel point sommes-nous susceptibles de nous connaître, de nous accepter ?