Quand le premier album de Second Still est paru en 2017 sur le label Manic Depression, nous n'avons pu cacher notre enthousiasme quant à une formation américaine qui avait su retrouver le charme vénéneux des grandes heures du label 4AD et d'un son cold wave hérité du Cocteau Twins période Garlands, d'X-Mal Deutschland ou de Siouxsie & The Banshees. Plus atmosphérique, le mini album Equals (Weyrd Son) n'a fait que confirmer le talent du groupe à créer des mélodies accrocheuses sur fond de basses et de guitares extrêmement sensuelles.
Synthétique et plus diversifié, Violet Phase (Fabrika Records) ne pouvait être que la suite qu'on espérait, s'éloignant des contraintes d'un genre typé eighties pour explorer un univers de plus en plus personnel. À l'occasion de leur troisième tournée européenne, nous avons pu nous entretenir avec la chanteuse-claviériste Suki lors d'un concert à La Cave À Rock (Toulouse) où le trio nous a littéralement fait décoller du sol.
Obsküre : Vous êtes actuellement en tournée en Europe avec Second Still. Comment cela se passe-t-il ?
Suki : Jusqu'à présent ça s'est plutôt très bien déroulé. Nous avons rencontré beaucoup d'amis et avons appris davantage que lors des deux tournées européennes précédentes. Nous apprenons aussi à être plus responsables. Les réceptions ont été variées, dans certains lieux nous n'avons pu jouer fort et cela a causé des problèmes. Mais en dehors de ça, on s'amuse toujours et nous avons un bon tourneur.
Le premier album est sorti il y a presque deux ans sur Manic Depression en France. Puis il y a eu Equals et le dernier album, Violet Phase. Qu'en est-il de la réception de ces disques, car vous êtes devenus l’un des groupes les plus suivis de la scène dark ?
Cela a divisé un peu l'opinion, notamment Violet Phase. Certains ont adoré, d'autres préfèreraient qu'on en revienne au style du premier album. J'adore toujours le premier, mais c'était vraiment un album de genre selon moi. Tout relevait de la même atmosphère et du même sentiment général, avec aussi une référence temporelle. Tous les gens qui écoutaient disaient que ça sonnait comme un disque des années 1980. Le nouvel album a été fait avec un producteur vraiment talentueux, Ben Greenberg, qui a aidé à ce que les chansons prennent forme. Nous voulions créer tout un univers plutôt que juste une seule atmosphère. Les gens aimaient le fait que nos premiers morceaux sonnent comme Cocteau Twins, et pour eux c'était aussi comme une tromperie. Mais j'en suis très contente et n'ai aucun regret.
Avec Equals le sens de l'atmosphère était déjà plus poussé, et le dernier est définitivement plus électronique. Est-ce que vous allez explorer cette facette plus synthétique ou allez-vous retourner vers un son post-punk et cold, plus basé sur les guitares ?
Je ne sais pas ce que nous allons faire après. Les choses se déroulent naturellement. Je ne serais pas surprise si le prochain album se focalisait sur des percussions live et plus de guitares, tout dépendra de nos sentiments au moment de le faire. Mais j'aimerais qu'on arrive à créer quelque chose de plus feutré, plus calme. On verra bien ce qui se passe.
Le titre Violet Phase peut aussi renvoyer au langage pictural et l'aspect graphique est toujours très soigné chez vous. Pourquoi le choix de cette "période violette" ?
Nous avons laissé carte blanche à l'artiste pour la couverture, il a fait six ou sept peintures qui étaient toutes incroyables. Et au résultat, nous avons choisi celle-ci, mais ce fut très simple. Cela a pris quelques semaines. Et pour le titre, il nous est venu au moment où nous avions quasiment terminé l'enregistrement. Cela vient en partie du Violet Flame Cult, le culte de la flamme violette. Et cela vient aussi de l'idée de passer par des phases. En particulier, pour nous en tant que groupe, c'est très important de toujours adopter le changement et de prendre des risques. C'est juste une nouvelle phase pour nous.
Il y a aussi un aspect très mélodique et efficace dans vos chansons, qui restent bien en tête. Est-ce dû au fait que vous travaillez beaucoup cet aspect ou cette dimension mélodique vous vient-elle naturellement ?
Cela dépend. Parfois en une ou deux heures, on peut aboutir à une chanson, et d'autres fois, il est nécessaire d'y revenir et de travailler dessus longtemps. Mais nous ne finissons jamais un morceau avant que nous soyons tous les trois d'accord. Et cela concerne toutes les mélodies, les harmonies de guitare, les paroles. C'est vraiment un processus démocratique.
Comment avez-vous su dès le départ que cela allait fonctionner entre vous trois ?
Je ne le savais pas ! Nous essayions de prendre les choses comme elles venaient, je n'étais pas sûre que quoi que ce soit allait sortir de ça. L'idée était juste de s'amuser, et cela a dû prendre un an et demi avant que cela prenne. Nous n'aurions jamais cru que nous pourrions partir faire des tournées européennes tous les trois. C'est assez incroyable, ce qui se passe.
Ta façon de chanter est très variée, tu peux descendre dans les graves et aussi monter très haut. La voix est-elle un instrument avec lequel tu expérimentes ?
Oui, j'ai la possibilité de chanter très bas ou très haut. En général, j'expérimente pour voir ce qui sonne le mieux. Puis chanter doucement ou avec force c'est ce qui va faire que la chanson sonne bien en tant que tout au lieu de ne se focaliser que sur un élément. Mais ce n'est pas délibéré, je me laisse juste aller. C'est un procédé d'apprentissage. Je n'ai pas eu de formation en tant que chanteuse, mais j'ai joué du piano et du violon. D'une certaine façon, j'utilise plus la voix comme un instrument.
N’es-tu pas intéressée par le fait d'intégrer du piano et du violon dans le groupe ?
Il y en a sur le nouvel album.
C'est vrai qu'il y a une plus grosse production et un son plus ample comme sur "Spiders & Spies". Du coup, je vais l'écouter plus attentivement encore pour identifier les instruments !... Autre chose maintenant : vous êtes jeunes et n'étiez même pas nés quand la période post-punk est arrivée. Comment avez-vous découvert ce son du début des années 1980, notamment la période Garlands des Cocteau Twins ?
J'ai toujours aimé les Cocteau Twins mais je préférais Young Marble Giants et Broadcast ou des choses plus contemporaines. Je ne connaissais pas grand chose sur le post-punk avant que mes deux collègues m'y initient. Je ne connaissais pas des groupes comme X-Mal Deutschland, et comme je n'y avais jamais été exposée, cela m'a permis de faire table rase. Quand les gens nous comparent à Siouxsie & The Banshees, c'est toujours très confus pour moi parce que je ne les ai jamais vraiment écoutés.
OK, c'est donc plus le background d'Alex et Ryan à l'origine. Et du coup, si je te demande quelques disques qui ont été importants pour toi ?
Sans hésitation je dirai Spiderland de Slint, Dark Side Of The Moon de Pink Floyd, un disque que j'écoute souvent quand je reviens du travail… ça me relaxe vraiment et du coup mon retour chez moi en vélo se transforme en aventure. Spaces de Nils Frahm. J'écoute aussi beaucoup Wagner, Ride Of The Valkyries… mon background est très classique.
On ne le sent pas du tout dans ta musique mais peut-être un jour… Et dans les groupes contemporains, y en a-t-il certains avec qui tu sens des parentés ?
Nous sommes proches de Mark de Buzz Kull qui est très talentueux, Chris King et tout le groupe Cold Showers, mon ami Preston qui joue dans Shit Giver de Los Angeles aussi, Justin de Heaven Process qui vont sortir un nouvel album... Donc oui, mais pour être honnête, en dehors des concerts, j'ai une vie très tranquille. Je lis, je vais parfois à la plage, mais la plupart du temps je ne sors pas.
De toutes les chansons que tu as écrites, y en a-t-il une que tu préfères en particulier ?
Je les aime toutes car je les ai créées avec deux de mes meilleurs amis. Mais sur le dernier album, "Spiders & Spies" est sûrement ma préférée. J'aime bien la manière dont nous avons incorporé toutes ces idées à l'intérieur du morceau avec le violon, le piano... Il y a beaucoup de pédales, avec un composant électronique mais vraiment une ambiance à la This Mortal Coil. Il y a aussi un côté planant et une bonne ambiance. Cela capture bien la noirceur qui est en moi.
Que peut-on attendre du futur de Second Still ?
Je ne sais pas. J'espère que l'on va continuer à faire des concerts et enregistrer des disques mais je ne le considère pas comme acquis.