Cette soirée industrielle a été mise en place par l'association Labophonix de l'Université Paul Sabatier. De nombreux bénévoles accueillent tout sourire les participants. Le bar aux tarifs très doux, l'entrée à un prix modique (5 € pour les étudiants et 8 € pour les extérieurs) et l'affiche exigeante auraient dû attirer plus de monde. Nous ne serons qu'une centaine au meilleur moment, Shaârghot finissant avec soixante-dix personnes dans la salle... L'équilibre financier repose sans doute sur des subventions, tant mieux pour eux, tant mieux pour nous et merci alors pour cette implication de la fac ou de la ville. La promotion un peu faible (les affiches collector sont vendues à prix libre) ne va pas avec l'implication (un stand de prévention des risques auditifs, drogues et IST) et avec les locaux : la salle est vaste, bien équipée, le parking gratuit fonctionne, les transports en commun desservent la fac ; les espaces et la galerie photos, les toilettes propres, les nombreux autocollants, dont "bon son de bon soir" et une affichette réprimant avec humour les conduites de viol font qu'on s'y sent bien. Les gars de la sécurité sont sympathiques : ils accepteront même un pauvre gars bien sonné, de façon à pouvoir surveiller mieux son état avec lui dans la salle, plutôt que dehors allongé sur le sol. On est humain, quoi... Je m'étonne dès lors que Toulouse ne capte pas plus de monde sur un samedi comme celui-ci.
Le dynamisme de l'entrée en scène impressionne pour les locaux Moaan Exis.
Le batteur Xavier Guionie (Punish Yourself / Cheerleader 69) marque idéalement avec son maquillage rouge, grimé en Indien post-apocalyptique, ses trous dans les oreilles et son tatouage sur le côté du crâne. Pour faire face à cette puissance si massive, le chanteur-musicien Mathieu Caudron s'offre torse nu, avec des bretelles sur ses épaules bien développées. Il tape des pieds en rythme, comme un possédé en transe lente, debout, percutant aussi fort que possible le sol (on songe à ce bon vieux Tantale, évidemment). Les sonorités rallient Nine Inch Nails, Skinny Puppy ou Les Tambours Du Bronx, ainsi que la vague Ant-Zen du début des années 2000.
Leur son est poussé au maximum et le show en lumières souligne efficacement les changements d'atmosphères.
La voix peine à convaincre ce soir, souvent scandée de la même façon ; sans doute une des raisons pour lesquelles le chanteur intervient finalement peu. Sur un titre au sample orientaliste, on aimerait bien que Mathieu prenne le risque de chanter ces vocalises. Cela donnerait une profondeur autre à leur duo un poil limité dans son incarnation, tout du moins sur la longueur d'un live (ce n'est pas le cas avec leur bandcamp). La batterie et la caisse forment un bon ensemble : on se rapproche alors des parties percussives d'In The Nursery, ou des aspects martiaux de la dark-folk. Dans ces instants, on plonge dans les corps, on regarde et on bouge aussi, un peu, juste ce qu'il faut... Sur la fin du concert, les morceaux prennent plus de liberté, on a même droit à un début de trip jungle (peut-être leur titre "Transcendence" ?). Toutefois, régulièrement, les titres sont concassés, cabossés par de nombreuses pauses, ce qui entraîne le public (alors que le morceau n'est pas fini) à applaudir... car on a beaucoup salué cette performance dans la salle. Le show y gagne aussi en mouvements, enchaînant facilement les titres.
On aimerait par la suite un concert industriel composé entièrement à la manière d'une symphonie avec échos, avec retours multiples des lignes et mouvements élaborés (un peu à la façon dont Köda avait été structuré, pour en revenir à ITN).
Shaârghot est assurément le groupe qui avait fait venir la majeure partie du public. Une audience ici en droite ligne des Punishers toulousains, lesquels se transforment cette fois-ci en "Shadows" sous l'influence des Parisiens.
C'est un show car les accoutrements empêchent une partie de la vitalité et de l'énergie de s'exprimer librement : sur des demi-échasses, ou avec un masque arachnoïde composé de longues tiges de métal rigides (qu'on voit dans le clip de "Uman is Jaws"), c'est plutôt difficile. Chaque titre bénéficie ainsi de sa mise en scène et de sa narration propre. Les pieds de micro sont sculptés, chacun avec son style, dans le registre post-apo – steam-punk que le groupe s'est choisi.
Les refrains sont énormes et fédérateurs (comme par exemple les tout récents "Z//B" et "Kill your God"), leur puissance seyant parfaitement à ce jeu de scène emphatique. On se doit de mentionner les multiples gestes de bénédiction assurés par le chanteur qui pose sa main sur les crânes des premiers rangs, les balayages de la salle (au-dessus des yeux) avec les lasers insérés sur la guitare ou sur la main du guitariste Brun'o Klose, les projections d'étincelles, le traditionnel bidon tabassé puis offert au public (comme dans la vidéo live d’ "AZERTY"), les clips projetés et les images qui habillent le fond de scène, les ventilateurs rougeoyants, et enfin, cerise sur le gâteau, les poses systématiquement travaillées (assez souvent le Christ incarné par Etienne Bianchi, le Shaârghot en chef, fait penser au jeu médiévalo-gargouillesque de Stefan Ackermann de Das Ich).
La musique est faite pour tabasser, portée par la basse éreintante de Clémence X Dufieux et la batterie métronomique d'Olivier ; pas vraiment de temps mort ou de modifications dans l'ambiance générale et l'objectif donné au concert... Fort heureusement, le groupe a tout de même une richesse dans ses titres, variant les plaisirs en modifiant les doses de son mélange hyper-influencé (Mass Hysteria, Punish Yourself, Marilyn Manson, Cramps, Rammstein, le Killing Joke de Pandemonium pour "Sandstorm Calling", le chapeau de The Adicts). Leur idéologie emprunte aux superhéros des comics et aussi à ce passage angoissant de l'adolescence, cette revendication plaintive au sujet de la différence et du rejet, tournant autour de la mise à l'écart, volontaire ou subie.
La violence de leurs clips surproduits (et très cinématographiques, puisqu'Etienne vient du monde de la vidéo), parés pour des jeux vidéos, se mue en connivence avec le public, y compris lorsque le geste du suicide par balle dans la tête s'accompagne du sourire grimaçant et du rire sadique de la créature Shaârghot. La part adulte de la contre-culture pourra sans doute se faire jour avec le militantisme serein de Clémence : on verra la place que la bassiste virile prendra progressivement dans l'orientation du projet.
C'est Etienne qui pour l'heure porte le groupe, visiblement heureux d'être sur scène, de donner libre court à ce personnage narquois qu'il a inventé et pensé. Un chanteur dont les modulations de chant impressionnent sur ce début de carrière (deux albums). Sa peinture noire part difficilement, son univers s'enracine rapidement dans l'esprit des "Shadows". Place aux cauchemarrants !
Nous ne verrons malheureusement pas Horskh : leur passage se produira un peu trop tardivement pour Jesse (photographie) et moi. Peut-être sera-t-il judicieux de revoir les horaires lorsque trois groupes jouent ?