Depuis la sortie remarquée en 2017 de Strange Valley, Sierra, aka Annnelise Morel, nous assène régulièrement de formats courts qui proposent une musique inspirée à la croisée de l’EBM et de la synthwave. La production récente de son excellent premier album A Story Of Anger (NDLR : auquel a succédé le récent EP live Anger, paru en juin et pour lequel la faiseuse electro a sorti le clip à regarder en bas de cette page) fut l’occasion pour la jeune artiste de nuancer et diversifier son approche en assumant, par ailleurs, le chant. Rien ne semble donc résister à cette jeune femme qui maîtrise à la perfection l’instauration de bandes-son qui lient à la rudesse martiale des sections rythmiques, le raffinement froid et légèrement éthéré de plages synthétiques. On comprend dès lors qu’elle ait pu être sollicitée pour la première partie de Carpenter Brut et, déjà habituée de scènes conséquentes comme le Zénith de Paris ou de festivals ambitieux comme le Wave Gotik Treffen de Leipzig, Annelise s’essayait, samedi dernier 13 juillet 2024 (NDLR : quelques jours après son apparition au Hellfest de Clisson), à cet exercice périlleux que constitue le festival généraliste.
Nous avons ainsi profité de sa venue à Carhaix, pour la 32ème édition des Vieilles Charrues, pour soutenir une artiste méritante qui partageait ce soir-là l’affiche avec, entre autres, Olivia Ruiz, Grand Corps Malade, La Fêve et Charlotte De Witte… Difficile donc d’imposer à l’ambiance familiale et pleinement festive de ce festival – sorte de parc Astérix breton – une musique somme toute peu abordable pour la mère de famille et peu encline à l’expression d’une joie débridée… On se dit alors que la Parisienne d’origine finistérienne est venue s’embourber dans un piège qui va, inexorablement, se refermer sur elle – comme l’a malheureusement compris à ses dépens PJ Harvey un jour plus tôt – et que l’appel des sirènes va lui être fatal…
Mais c’était bien mal connaître Sierra, dont le charisme irradie dès son entrée sur scène… La nuit aidant sans doute à la mise en œuvre d’un univers sombre teinté de S/M, Annelise, de cuir noir vêtue, impose d’emblée une tension qui ne faiblira jamais… Elle frappe, encore et encore, un matériel qu’elle domine avec virilité, s’empare avec parcimonie du micro pour exprimer dans un phrasé vaporeux ce qui s’apparente à du spoken-word (regardez "Gone" ici). Les morceaux s’enchaînent à un train d’enfer et dans une linéarité sans failles… Le son nous apparaît plus dur et plus proche de la techno-EBM que sur les versions studio, ce qui n’est ailleurs pas sans nous interpeller car, au lieu d’aseptiser son set pour un public non averti, Sierra semble pousser le curseur de l’âpreté encore plus loin… Un comble dans cette arène de la scène Grall qui se resserre de plus en plus et qui bout d’énergie.
Nous reconnaissons quelques titres parmi lesquels "Gone", "See me now" et "Unbroken" qui fut, en son temps, le porte-étendard d’une publicité pour Yves Saint Laurent mais, en définitive, nous nous attachons assez peu à la setlist… L’unité est telle qu’on a le sentiment assez jouissif, il faut bien l’admettre, qu’un seul et même morceau a inlassablement muté pendant cette prestation de soixante-dix minutes… Maintenus avec force au premier rang, nous formulerons le désir de prendre du recul et de suivre le dernier tiers du set en retrait mais toute échappatoire nous sera impossible dans cette fosse désormais conquise et compacte, mue par des coups de boutoir incessants qui imprimeront avec force dans nos esprits peu préparés, cette rage manifeste qui ne demandait qu’à s’exprimer.
Le concert se termine dans l’euphorie générale devant un public malgré tout dévolu à cette musique électronique musclée ; Annelise n’aura donc sans doute pas converti la fameuse ménagère bretonne mais aura pleinement réussi le pari de l’audace… La force de Sierra réside bien dans cette capacité exemplaire à fédérer les scènes et à se produire là où on l’attend le moins ; à s’emparer d’une musique viriliste et traditionnellement machiste pour prouver combien la force et le caractère ne sont en rien l’apanage des hommes… Pour toutes ces qualités et toutes celles à venir, vous avez tout notre respect Madame Morel !
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Le concert de Sierra peut être revu ici et en intégrale sur France TV Culturebox (création préalable et gratuite d’un compte personnel obligatoire)