Suite directe de Late To Life (single deux titres paru en mars 2022), le premier album de Silt imprègne d’une huile mélancolique des canevas sonores assez bruts et plus ou moins arides. Le groupe témoigne, en tout état de cause, d’une approche sensible. Que ce soit dans les rythmiques ou dans les épaisseurs des guitares, Silt ne choisit jamais frontalement entre rigidités et élégances, afterpunk et metal, mais reste précautionneux dans sa manipulation des substances. Dans le sillage de cette protéiforme école du binaire qui a aspiré à diffuser un mystère ou instiller du spleen à son overdrive depuis les années 1990 (qu’elle aille du gothique vers le metal ou inversement), Silt fait vibrer la corde sensible jusqu’à l’ultime et instrumental "Exhale". Mais il ne déborde vers aucun excès, ne surjoue pas.
Cette collaboration entre le Portugais Charles Sangnoir (La Chanson Noire) et le Français Laurent Chaulet (Mourning Dawn, Ataraxie, Funeralium…) aboutit à une première collection bien tenue. Les conseils prodigués par Sangnoir à Chaulet concernant l’approche de la voix ont porté leurs fruits : les modulations du chanteur fonctionnent à plein et créent une variation émotionnelle intéressante à l’intérieur des titres. Elle leur donne une chair, un storytelling. Le chanteur, disons-le, a du style : l’urgence nourrit la voix sur "Mutiny" jusque dans les vibratos. Elle fixe avec l’épaisseur de la vérité cette ambiance qui précède la violence collective que dépeignent les textes. Sur certains titres pointent des inflexions qui nous rappellent aussi de vieux et bons souvenirs : Chaulet n’est pas loin de ce Yorck Eysel que nous chérissons (Love Like Blood) et qui n'aimait pas les systèmes d'oppression (rappelez-vous, "Johannesburg"). Cette "semblance de Yorck" se produit sur "Diva of Death and Destruction" ou de manière plus évidente encore sur l’élancé "The Hazmat Game", un des temps forts du disque. Il y a quelque chose de vénéneux dans ce qui remonte de la colonne d’air de Chaulet : une gravité, un vécu que les manières n’encombrent pas.
La basse est linéaire, dure, mise en valeur au mix. Elle contribue aux froideurs. La percussion du groupe trouve en elle une source qui contribue à sa puissance d’impact. L’économie et la rigueur de la frappe font aussi que Silt n’a pas forcément besoin de pousser les saturations à plein, ce qui restitue une tension plus naturelle que celle de ces reliefs metal surcompressés qui ont envahi (et anonymisé) le marché depuis les années 2000. "Mutiny", pour rester sur lui, est un bon exemple de cette retenue. Le groupe reste à la lisière. "Mutiny" nous rappelle la vivacité d’un vieux Varsovie, dans une mélodicité plus classique.
The Hazmat Game est une entrée réussie, au sens où Silt présente force identité dès son acte de naissance. Dans l’espérance que le deuxième opus affine l’intention, difficile aujourd’hui de ne pas féliciter les forces en présence pour leur chimie, la combinaison de leurs intentions et une indéniable réussite formelle. The Hazmat Game, de chair et de sang, entre dans nos disques repères de l’année 2022.