Tous les retours ne sont pas salutaires, entendez ne mûrissent pas autre projet que celui d’entretenir mémoire. Avec Slowdive, formé à Reading en 1989, le constat s’impose : depuis 2014, le groupe emmené par Rachel Goswell et Neil Halstead vit comme une seconde vie. Slowdive : rien que prononcer le nom vous fait quelque chose. Trésor que l’on a cru enfoui pour toujours dans les vapeurs des années 1990, de ces petites choses qui incarnent une époque, et dont l’histoire est marquée par l’importance d’un certain sérail (Alan McGee fut derrière eux, critique aussi – cf. l’ère Souvlaki). Ce sentiment que les choses resteraient enfouies demeura jusqu’à ce que se réveille l’animal, il y a presque dix ans de cela. 2014, la réexistence : celle d’un son live, d’une ambition créative (l’album éponyme de 2017). Une démarche, une authenticité.
En 2023, le groupe formule l’une de ses propositions sonores les plus directes et envoûtantes. Everything Is Alive : premières sessions repoussées par les contraintes COVID et un titre symbolique (les musiciens subissent des pertes dans les rangs de leurs proches, 2020 est implacable). Comme s’il fallait en passer par le charbon pour quelque lumière : le disque se remarque pour la force directe de ses mélodies, la profondeur des climats. Neil avait une trentaine d’idées en travail, certains titres ont connu quarante mixes alternatifs (cf. "Alife"). Et l’essence finale ne ressemble guère aux premières pousses.
Alors que les esquisses semblaient orienter le groupe vers des formes synthétiques et analo (les sons de synthèse nimbent le disque, ils l’ouvrent sur l’introduction de "Shanty"), les guitares sont peu à peu revenues dans le jeu. Imprégnation de l’ensemble, organicité de délicatesse dont ont témoigné les singles faisant prélude. Une intention dessinée, nette, dans la force d’expression des six-cordes, leur petit bouillon onirique, les voix coton. Une manière de faire ancienne, dites donc "musique typée". Et l’évidence, la manière dont tout cela coule comme par nature donne à cette musique une envergure inédite, perdus qu’elle nous laissait parfois dans les mirages de ses promenades (l’album Pygmalion, investigation stylistique intéressante, vécue par certains comme déroute).
Si certains morceaux souffrent à notre sens, parfois, de quelque longueur (le duveteux "Andalucia Plays", ses coulés early Cure), les climats qui s’installent dans le cru 2023 marqueront le fond de catalogue ("Skin in the Game", "Chained to a Cloud"). l'opus V est un disque de volutes, spleen et positivité en mélange. Et tout se termine dans une tension au noir ("The Slab").
Disque éventail, celui d'un groupe rassemblé - car oui, entre eux, c’est chimique. Tout de luminosité diffuse, Everything Is Alive est ce moment où les souffrances personnelles nourrissent une convergence, une unité : un disque au pelliculage psychédélique et où Slowdive provoque ce sentiment, par moments, que voici les "chansons rêvées" : ces mélopées qui vous hypnotisent et vous travaillent en même temps – et vous rassurent par ce qu’elles portent en elles : une conviction, une nature ("Kisses" ou le poignant "Alife", toutes deux superbes). Chansons échappatoires, qui nous portent et deviennent nos accompagnatrices, sans doute pour longtemps.
