Dans la rocaille d’un certain post-punk de la fin des années 1970, certains virent en reflet la dimension fermée et déprimante d’un "urbanisme capitaliste". Si la musique de Soft Vein s’avère plus lisse et synthétique en surface que n’importe quel post-punk de l’"âge d’or", elle renvoie elle aussi à une picturalité de l’immersion urbaine, du remue-ménage intime, du vague à l’âme.
Mais elle n’a pas l’austérité d’un vieux Joy Division. Elle ne l’avait pas hier, elle ne l’a pas aujourd’hui, et c’est tout sauf un problème : ses froideurs de synthèse, ses vapeurs ont plus à voir avec le décor rassurant, la moiteur des clubs. C’est une musique plus "confortable", très certainement et au sens non péjoratif. Confortable au sens où vous entrerez dans ses intérieurs sans qu’elle fasse barrage, qu’elle exige ; au sens où vous sentirez en elle une familiarité, dès la première écoute. Elle vous ouvre les portes, c’est elle qui invite.
Car tout de même, nul ne se love dans un son aussi rocailleux, froid, dissonant et cathartique que celui de Ian Curtis & co.. Ce son, il faut le conquérir, il faut le vouloir. Et la simple observation des formes de Through Blinds, projette une évidence : Soft Vein n’est pas et ne compte pas remplacer le post-punk de la fin des années 1970. Sa musique est enrobée, duveteuse. Elle vous prend la main avec douceur et vous tire vers le dancefloor pour un moment de vapeurs, un moment où se perdre. Un dancefloor où vous resterez dans ce paradoxe, tandis que les corps vous frôlent, de l’épreuve solitaire. Tandis que le son prend l’espace, des solitudes se croisent, s’oublient, se surmontent parfois. Quelques secondes précieuses, sans issue.
Through Blinds est un beau disque. S’il nous est présenté comme dérivé du premier album (Pressed In Glass, 2023), un "futurisme nostalgique" – de l’expression du label – nourri de sources plus organiques, le son du Californien Justin Chamberlain (Harsh Simmetry) poursuit des desseins qui ne dépareillent pas fondamentalement des premiers travaux. La diffusion des sons de guitares, discrète, n’estompe en rien les huiles essentielles : beat et sons de synthèse, fragrances d’EBM mais dans une forme douce, enveloppantes ("God Whispers", hypnotique ; "Soft Devotion (Gentle Prayer)", low tempo en superbe, descentes en déprime ; "Black Bag", tentation du martellement). L’émotion passe aussi par la voix mais Chamberlain fait preuve, une nouvelle fois, de sobriété, d’économie. Faire le plus avec le moins : le chant suit un chemin d’épure, de notes en sustain, de peu de mots.
Le givre de cette musique est son apparat. Un cœur bat sous la fine cuirasse des sons de synthèse. Les machines ne servent pas d’armure, ne cachent rien. Soft Vein est un exutoire machiniste en surface, charnel dans ses intentions, romantique dans ses parfums. La romance ne se décatit que lorsqu'une lumière blanche, anonyme, agressive reprend possession de la piste du club, provoquant la dispersion des corps. Les haut-parleurs ont proféré la sentence : "Mesdames messieurs, les portes ferment dans cinq minutes."