Sounding New est une exposition proposée par le Musée d’art contemporain (MAC) de Lyon, jusqu'au 7 juillet 2019. Au premier étage sont présentées diverses oeuvres appartenant à son fonds musical exceptionnel, mettant à l’honneur dix-sept artistes visionnaires et leur démarche expérimentale. On retrouve ainsi des noms liés au mouvement Fluxus (Nam June Paik, George Brecht, George Maciunas), des ténors de la musique minimaliste et de la recherche sonore (Terry Riley, La Monte Young, David Tudor, Morton Feldman, Alvin Lucier, Laurie Anderson), ou encore Anna Halprin. Le musée s’est toujours fait fort de mettre à l’honneur la musique contemporaine (on se souvient notamment de l’exposition de 2012 Cage’s Satie: Composition for Museum, retraçant les liens entre les deux compositeurs et qui se clôturait par la Dream House de La Monte Young et Marian Zazeela). Sur sept salles, l’institution rend ici hommage aux travaux d’artistes/ musiciens visionnaires qui ont considérablement modifié notre rapport à la musique et à la perception du son et de l’image. C’est très instructif et ludique à la fois : un rendez-vous culturel d’envergure, qui démontre que cet art particulier d’après-guerre a encore une aura tout à fait particulière.
Il fait beau, le parc de la Tête d’Or situé à proximité du lieu est animé, c’est dimanche et ce que nous allons découvrir nous semble devoir être étonnant. L’exposition, commencée le 8 mars, jour de réouverture du MAC après des travaux, est un événement. Cette sensation d’importance est renforcée par la récente acquisition de l’oeuvre initiée par David Tudor, Rainforest, grâce notamment à une campagne de crowdfunding, opérée via la célèbre plateforme KissKissBankBank. Elle a été menée fin 2017 : le public était invité à faire un don pour parvenir aux vingt mille euros manquants nécessaires à l’achat de cette pièce unique, créée à l’origine pour le chorégraphe Merce Cunningham (les quatre cinquièmes de l’apport financier provenant de la Ville de Lyon et du Fonds Régional d’acquisition des musées).
Un texte informatif nous indique le thème principal de l’exposition : les liens entre la musique expérimentale et les arts visuels. Ainsi, sur une période courte (1957-1963), l’art se veut révolutionnaire, avec l’apparition de la thématique du minimalisme. On voit émerger Fluxus (et le happening), la musique du son tenu et répétitive, mais aussi la postmodern dance d’Anna Halprin et surtout l’utilisation des nouvelles technologies.
Dans la première salle, tout un mur est recouvert par une sorte d’arbre généalogique de ces artistes majeurs : La Monte Young, Terry Riley, David Tudor, George Brecht, Nam June Paik, mais aussi Karlheinz Stockhausen, qui fut d’une importance capitale pour l’avant-garde musicale à partir des années cinquante, avec la création de l’"elektronische Musik". Des ramifications et liens multiples se tissent entre eux et entre les différentes "scènes". Les noms se succèdent, ainsi que leurs travaux. Au détour d’une ligne de filiation, on découvre Joe Jones, Allan Kaprow et bien sûr Yoko Ono, personnage marquant et décrié de l’art contemporain, à qui le musée avait rendu hommage en 2016.
Après avoir survolé un texte de Robert Morris et contemplé une boîte de Water Yam de George Brecht ("qui conserve sans aucune hiérarchie des scripts-partitions […] supports d’events", cf. la fiche de l’oeuvre sur le site du Centre Pompidou), on se dirige vers l’une des pièces maîtresses de Sounding New : The Handphone Table, de la musicienne new-yorkaise Laurie Anderson. Le cartel stipule à son propos : "The Handphone Table est une oeuvre qui invite le spectateur à écouter de la musique sans outils technologiques. Ici, c’est notre squelette qui conduit le son comme pourrait le faire un casque audio. L’auditeur, accoudé sur la table, la tête entre ses mains, dans une position qui suggère le rêve, l’isolement, expérimente alors le paradoxe de devoir se boucher les oreilles pour pouvoir écouter." Ensuite, on prend connaissance des "instruments mécaniques, batteries électriques, carillon, structure portante métallique, câbles" et du piano spécial de Joe Jones, avant de se diriger vers les oeuvres (télé)visuelles de Nam June Paik. La salle 2 est un sas, où est exposé David Tudor’s Ocean de Molly Davies, un portrait du compositeur en six films, le montrant notamment en train de travailler sur Ocean, oeuvre tardive de John Cage et Merce Cunningham. L’intérêt nous a semblé assez minime. C’est une mise en bouche avant Empty Vessels d’Alvin Lucier.
Lucier est un précurseur dans l’utilisation de l’électronique pour la composition musicale. Sa musique microtonale s’avère tout à fait importante dans le courant expérimental. Cette oeuvre relativement récente (1997) présente huit vases vides, dans lesquels il a placé des micros, captant ainsi le son ambiant. Le rendu est stupéfiant, d’une beauté exquise, un minimalisme brut et envoûtant, renforcé par la pénombre de la pièce. Les vases sont mis en rang et l’expérience est assez brève, mais idéale avant de se plonger dans Sound with/in (1989) de La Monte Young (l’instigateur du drone et influence de Brian Eno) et Marian Zazeela. Au même titre que leur Dream House, cette oeuvre s’inscrit dans le registre du dépouillement. Ainsi, le spectateur se trouve dans une pièce baignée de lumière tamisée, contemplant une forme colorée longiligne et rectangulaire, sur fond de bourdons continus ; tout à fait hypnotique. Après avoir visualisé des photos de performances de la danseuse Anna Halprin, on découvre avec curiosité la pièce labyrinthique aux portes miroir conçue par Terry Riley, maître de la musique répétitive et influence - entre autres - de Pete Townshend, Time Lag Accumulator II. Ainsi, cette oeuvre est "faite de magnétophones situés dans différents espaces sur lesquels circule une unique bande magnétique. Les sons produits par les visiteurs dans chacune des pièces sont enregistrés et rediffusés, avec un léger décalage temporel, dans une autre salle." Déroutant et amusant.
Puis, c’est le tour de David Tudor & Composers Inside Electronics (John Driscoll, Phil Edelstein), avec la présentation de Rainforest V (Variation 4), une oeuvre débutée en 1973. Il s’agit du plat de résistance de l’exposition, puisque le musée a, comme nous l’avons dit plus haut, beaucoup investi pour pouvoir l’obtenir. Des objets faits en différentes matières (acier, aluminium, plastique, bois, etc.) sont suspendus et produisent chacun un son différent, audible en se plaçant dessous. On trouve un bidon, un tube, des cercles métalliques, etc. Les artistes ont réalisé un beau travail de sonorisation pour chaque sculpture, créant ainsi une sorte de "jungle industrielle". Plus précisément, selon le dossier de presse : "Cette véritable 'sculpture sonore' restitue, à travers des sons électroniques, l’effervescence d’une forêt tropicale : cris d’oiseaux, pluie, vent, craquements… Chaque sculture chante, croasse, cliquète ou carillonne, jouant ainsi sa propre partition avant de résonner de nouveau dans l’amplificateur qu’est l’espace d’exposition, pour se joindre à la joyeuse ambiance de milieu tropical."
On termine par les partitions graphiques de Morton Feldman, l’installation visuelle/sonore World Trade Center Recording: Winds after Hurricane Floyd de Stephen Vitiello (un artiste plus récent) et la collection de clichés pris par Peter Moore, photographe "officiel" de Fluxus, célébrant ainsi en guise de conclusion les artistes évoqués durant l’exposition. Une bien belle initiative du musée, qui ravira tous les adeptes d’art contemporain et de musiques audacieuses.