La déception va être forte car (selon moi) cet album rate deux fois sa cible.
Les fans des Smiths n'y gagnent pas grand chose (des orchestrations de cordes !) et j'ai ressenti plus d'émotions avec les ersatz que furent The Organ ou plus récemment Desmond Doom.
Les fans de Spiritual Front chercheront en vain une trace de noble décadence (des orchestrations de cordes ?).
Peut-être est-ce l'âge, l'abondance culturelle qui me conduisent à ce malaise. Je me plais à penser que des néophytes en revanche succomberont, eux, doublement : la voix est belle, les compositions toujours aussi magnifiques et leur vernis classieux ne gâchent rien du maintien de la grande tradition pop ("Still ill"). Ces titres revisités gagnent parfois à l'ajout symphonique par-dessus l'orchestration principale respectée : les coups de toms sur "Barbarism begins at Home" ouvrent ainsi une dimension spectaculaire qui sied paradoxalement à cette confession de l'intime ; la montée finale inexorable de cette reprise me satisfait également. Cette intention orchestrale va parfois un peu loin : ainsi la lenteur ennuyante de "How soon is now ?" est balayée par des vagues successives un rien pompières. "This charming Man", malgré ses sautillements, reste dans un équilibre que je juge instable entre plusieurs émotions trop contrôlées. Mes poils se hérissent de colère car l'intention de départ n'est plus respectée. Plus loin, "Panic" oublie la charge pour devenir une caresse étonnante. Accentuer le paradoxe est chose risquée...
Les groupes reprenant un groupe sur tout un album sont rares. Ici, en dépit du visuel, c’est une compilation n’incluant que trois titres de The Queen Is Dead et malheureusement cette abondance de titres prend une allure de gavage plus on avance dans le disque. Les reprises passent globalement dans le même logiciel d’intentions et de formes. Le démarrage de "The Queen is dead" est d’ailleurs raté : colère, violence ? En concert, je ne sais pas si je resterais jusqu’à la fin du set, tout ayant été dit en une grosse poignée de titres. La paire "Girlfriend in a Coma" et "The Boy with a Thorn in his Side" pousse assez loin la notion d’ennui poli.
Spiritual Front nous gratifie de pléthores de bonus dans la version deluxe (et un gros livret est annoncé). Je passe aussi sur la liste des invités car ces collaborations ne changent rien au résultat global. Avec ces versions alternatives, j’y vois à la fois comme un plaisir et un constat d’échec : finalement, on a beau livrer plusieurs versions de l’interprétation, c’est comme s’il manquait encore quelque chose, que le groupe n’avait pas atteint.
Il y a cependant de belles choses : l’écoute de "Still ill" au casque est ravissante : le délié de la guitare, l’ajout des cordes, la voix plus douce (et moins tapageuse, certes), plus mature de Simone Salvatori rend ce titre plus propre, le muant en un classique plus présentable. De même, "There is a Light that never goes out" quitte la pop outrancière et provocante pour s’installer dans une sphère bluesy orchestrée, l’équivalent d’un chant de Noël intemporel. C’est peut-être ça qui me gêne : The Smiths entrent ici dans une sorte de muséification, liée à la forme de l’hommage et à l’amour total qui transparaît de chaque note. Bizarrement, la reprise de "Bigmouth strikes again" est une grande réussite, sans doute portée par les comparaisons avec celle de Placebo et celle plus oubliée de The Ukrainians (groupe cousin des Wedding Present). Là, Spiritual Front magnifie une nouvelle fois ce titre dont rien n’est à jeter. Encore un atout ? "Please, please, please, let Me get What I want" est meilleure que l'originale. Le plaisir, je l’ai avec eux pour cette reprise à la musicalité parfaite de "Girl afraid", un peu plus surf que l’originale, aux sonorités si bien travaillées. Oui, c’est souvent du très bon travail sur la forme ; et un vrai défi pour des gens comme moi, qui s'attendaient à un sans-fautes et ne savent pas vraiment sur quel pied danser.
Ce n’est pas pour rien que j’apprécie les disques de Spiritual Front : le culot, l’audace, le talent. Je ne vois pas quelle place aura ce gros disque dans sa discographie dans dix ou quinze ans. Il me faudra certainement y revenir en taisant ma déception.