La collection de reprises, cadeau : exercice classique et risqué s’il en est, moyen aussi de maintenir un lien avec un public tout en squizzant l’étape chronophage de l’écriture. Avec cet effet second : inviter les adeptes au bain du référentiel des musiciens. Nés au milieu des années 1980, Stabbing Westward ont compté dans leurs rangs des noms renommés (Chris Vrenna, pas des moindres) et n’ont pas sorti d’album avant 1994 (Ungod). Jamais vraiment considérés comme tête de proue, SW conservent néanmoins statut de porte-étendard d’un electro-rock digeste et remarqué pour l'ampleur de sa production (cf. Darkest Days, 1998). On les rangeait dans la catégorie industrial rock à leur naissance, mais ils n’ont jamais été aussi revêches qu’un Nine Inch Nails ou un Ministry, préférant la concoction de mélodies plus rondes et fédératrices. Leur son s’est assagi au fil des années sur la partie 90's du parcours, et le dernier album studio en date (homonyme, 2001) n’est pas celui qui reste le plus en mémoire.
Le retour de l’entité SW s’est matérialisé cette année avec la sortie d’un premier EP, Dead And Gone. Le travail sur un nouveau format album est en cours et dans l’attente, le groupe au line-up révisé mais toujours mené par Christopher Hall (chant, guitares) et Walter Flakus (programmations, claviers), offre à son auditoire cette petite collection de reprises. Si l’une d'elles maintient SW dans son bain originel (le remake de Ministry, "Everyday is Halloween"), le référentiel mis en valeur à travers ce nouvel EP est ouvert et explicitement cold pop / post-punk : deux titres sur les trois réinventés s’inscrivent dans ces mouvances au génome mélancolique, Stabbing Westward déportant le son originel des morceaux vers une production typée à sa manière. Ce qui charriera adoration ou exécration.
Le choix a le mérite de la cohérence et dans sa production, l’EP jouit d’unité : SW veut faire reconnaître les originaux, tout en en faisant des hymnes à sa sauce à lui. Son de stade et guitares indus-pop sauce 90’s : il y aura ceux qui trouveront matière à simple plaisir dans le spectacle offert, quand les autres se distancieront de la dénaturation. Nous retiendrons surtout, pour notre part, l’exercice assez réussi entrepris, dans l’optique, sur le "Burn" de Cure, emblématique et élévatrice bande-son du premier volume des films The Crow. SW déporte le son de Smith & co. vers des volumes indus rock aériens, épais et aussi flatteurs qu’ils l’étaient dans les 90’s. C’est somme toute assez bien fait et porteur d’une énergie que l’on préfèrera à celle du remake du "Killing Moon" d’Echo & The Bunnymen, sans doute en raison de notre attachement à la délicatesse de l’original. Clairement, le statut de ce morceau dans notre univers - intouchable, non ? - joue en défaveur de ce plaisir non coupable que nous éprouvons volontiers à l’écoute de la reprise de The Cure. Ce plaisir surpasse aussi et trèèès largement le sentiment face à l’épaisse et synthétique version dancefloor de "Burn", remix final à notre avis superfétatoire. Intention comprise, mais il n'empêche : matériau bonus voué aux gémonies.
Dieu sait si l’époque invite les artistes à trouver tous subterfuges possibles aux fins de tromper l’ennui et fausser compagnie à un contexte qui, de facto, rend impossible le maintien d’une activité live devant des publics en position debout. Le concert rock est une des victimes de la Covid-19 et Stabbing Westward vient avec cet EP d’abattre une carte lui permettant de gérer le temps dans l’attente de la parution d’un nouveau format album (intitulé pour l’heure Wasteland - tiens, ça nous dit quelque chose). Sans doute ces musiciens espèrent-ils, légitimement, que le report des échéances coïncidera avec la possibilité de renouveler le lien sur scène. La sortie d’un album n’est-elle pas aujourd’hui prétexte à tourner ?