Steelwork Maschine, auberge brestoise animée par Christophe Galès et Serge Usson, est une maison de disques française spécialisée en publications dark folk et industrielles. Dans le genre, son catalogue, au développement précautionneux, peut faire des envieux : le label publie de belles choses telles que Vesperal ou encore Lisieux, mais se charge aussi d'entretenir le fond de catalogue d'un certain Death In June, lorsque l'occasion lui en est donnée. Steelwork est notamment responsable de la récente réédition du classique The Wall Of Sacrifice, originellement paru en 1989, et qui retrouve une vie en format physique avec l'édition spéciale The Wall Of Sacrifice Plus (format CD + format single vinyle, sous pochette rouge historique réinventée). L'occasion d'aborder avec les gens du label le mode opératoire et la coopération avec Douglas P. Derrière l'objet culte, il y a l'histoire d'un making of... et une histoire de vie.
Obsküre : Qu'est-ce qui, concrètement, a amené au projet de réédition pour The Wall Of Sacrifice ? Est-ce une proposition de Steelwork émise vers Douglas P. ou le contraire ?
Kris (Steelwork) : Steelwork et moi, avons depuis longtemps une relation de confiance et de fidélité avec Douglas P., depuis les tournées et concerts que nous avons organisés pour lui de 2002 à 2015 en France. Nous avons eu l'occasion évidemment d'accompagner la distribution de ses disques depuis déjà quinze ans, et notamment de sortir le live à Brest de 2011 en DVD, en vinyle, puis ce format hybride de CD accompagné d'un vinyle 7" dans une pochette gatefold, avant de reprendre la distribution du merchandising de Death In June. Elle s'est faite via le site www.deathinjune.info. L'an dernier a été créé le site deathinjune.download qui permet de pallier à la suppression de sa page Bandcamp, qui s'est faite sans aucune explication de la part de la plateforme lors d'une vague de censure sans précédent sur le net, laquelle a vu également YouTube fermer le channel Death In June, depuis relogé sur Bitchute.
Le format cassette commençait à m'intéresser, lorsque j'ai reçu - coïncidence ou destin ? - un mail de Douglas me proposant de réediter l'intégralité de son catalogue en k7... ce qui s'est fait en juin 2017, parce qu'il y avait de la demande sur ce format, et que des bootleggers commençaient aussi à s'y mettre. Il fallait logiquement contrecarrer ça et répondre à une demande existante.
Après des réeditions classieuses en vinyle chez Pylon Records, très bon label basé en Californie, en 2014, Douglas voulait réediter The Wall Of Sacrifice au format CD pour le trentième anniversaire du disque. Celui-ci n'était plus disponible depuis sa précédente édition en CD, laquelle datait déjà de 2003. Comme nous avions déjà l'expérience de ce format CD+7", Douglas nous a proposé de le faire. Comment aurais-je pu refuser ?!?
De manière générale, comment se déroule le travail en collaboration avec Douglas sur les publications / rééditions ? Est-ce un processus planifié, mûri à l'avance ou est-ce un acte au coup par coup, plus "instinctif" en quelque sorte ?
Kris : C'est relativement planifié, on dira. Disons qu'on sait à peu près où on va, sachant qu'il y a un calendrier d'"anniversaires" de chaque disque, et que sous quelque format qu'ils soient, ils sont régulièrement épuisés. Les délais des usines de pressage étant ce qu'ils sont, nous sommes logiquement obligés de nous y prendre bien à l'avance. D'ailleurs, The Wall Of Sacrifice Plus aurait dû s'appeler "30th anniversary edition", mais pour des raisons techniques, nous avons loupé la date de trois mois. Il y a toujours des surprises, ça met du piment...
Douglas se montre-t-il directif ou non sur la forme des objets dont la réalisation est prise en charge par une maison de disques ?
Kris : Ça dépend. Pour les lives de Brest, Live(s) At The Edge Of The World, j'avais carte blanche. C'était à nous de proposer quelque chose de cohérent et de neuf. Après un premier visuel jugé trop "contemporain", le second a été validé immédiatement, avec la photo de Douglas masqué sur le DVD, et la rune Algiz sur l'édition vinyle. À force, on est sur la même longueur d'ondes, et nous anticipons à peu de choses près ce que Douglas voudra ou pas. Nous avons tenu à rendre hommage à John Murphy, son percussioniste, sur la réédition du live sortie quelques mois après son décès. Sur les rééditions k7, l'idée était de recréer aussi fidèlement que possible les pochettes d'origine en les adaptant au format. Initialement je voulais même que chaque cassette ait une couleur différente, mais l'idée ne plaisait pas à Douglas. Donc, nous nous sommes contentés de cassettes roses pour Rose Clouds Of Holocaust et All Pigs Must Die, et d'une cassette blanche pour Peaceful Snow.
Pour cette réédition de The Wall Of Sacrifice, c'était différent. J'avais proposé, pour trancher avec les éditions de 2003 et 2014, de reprendre le visuel d'origine de la seconde édition vinyle qui avait une pochette rouge, contrairement à la première de 1989 qui avait une pochette blanche, également reprise pour la première version du CD. Encore une fois, c'était également ce que Douglas avait en tête - mais cette fois, c'est lui qui nous a préparé tous les visuels. Serge, l'autre moitié de Steelwork, n'avait plus qu'à adapter ça aux spécifications de l'usine.
Que représente The Wall Of Sacrifice dans le background des gens de Steelwork ?
Kris : The Wall Of Sacrifice a été l'un des premiers CD de DIJ que j'aie achetés, vers 1997, après le single "Sun Dogs". Sa pochette avait et a toujours un pouvoir d'attraction mystérieuse sur moi. C'est probablement l'un des disques que j'ai le plus écouté, notamment à une période particulière en 1999 où, allité dans une clinique pendant plusieurs jours, j'écoutais le CD en boucle sur un discman. Je me souviens très bien écouter "Fall apart" et voir en même temps l'annonce à la télévision du décès de Stanley Kubrick, que j'adulais. Je crois que tous les fans de Death In June ont un album qui correspond à un moment particulier de leur vie, un album qui résonne différemment des autres, et à une forme de résilience réellement liée à sa musique. Cela s'appliquerait à n'importe quel autre groupe, mais je crois que c'est encore plus fort chez Death In June et ses fans. Sur un plan personnel, c'est Death In June lui-même qui a eu une incidence sur ma vie, notamment en Avril 2002, en Mai 2005 où un procureur général m'avait convoqué, ou en octobre 2013 où des préfets zélés et des maires aux dents longues envoyaient des flics chez moi, un certain vendredi soir à 22h30.
Coïncidemment, c'est aussi un disque à part dans la discographie du groupe, qui illustre une rupture entre ce que je considère comme la seconde période (Brown Book / The World That Summer) et la troisième, à la fin des années 1980. C'est aussi son album le plus sombre d'un point de vue personnel, à un moment où Douglas était dans une dépression profonde et où il envisageait même que The Wall Of Sacrifice puisse être son dernier album. Il l'avait conçu comme son propre Metal Machine Music, même s'il admet superstitieusement n'avoir jamais écouté l'album de Lou Reed, lequel s'était avéré un suicide commercial à l'époque.
D'autres projets de publications originales ou de rééditions concernant Death In June sont-ils en cours de réflexion ?
Kris : The Corn Years, sorti en CD il y a trente ans, et uniquement réedité depuis en vinyle chez Pylon Records en 2014, est sur les rails pour être édité au format CD+7". Il devrait être disponible au printemps prochain. Nous avons évidemment d'autres projets, mais ça reste en suspens - notamment un projet de livre qui rassemblerait l'ensemble des archives de Death In June depuis 1981, et qui devrait être un pavé de neuf cents pages. Quant à Douglas, je sais qu'il a les textes d'un nouvel album dont j'ai pu avoir le titre probable. Reste la musique a créer.
J'en profite pour dire que les excellents albums des non moins excellents Vesperal (Wasteland) et Lisieux (Psalms Of Dereliction) sont toujours disponibles chez Steelwork en vinyle, et qu'ils plairont à tous les amateurs de neofolk/darkfolk.