Un son, une vision. Toute sa carrière, Stephen O’Malley a recherché cette vibration primordiale, cette musique des sphères qui ordonne le monde. Une quête sempiternelle qu’il explore donc depuis plus de vingt ans, reprenant les théories de La Monte Young. Ce minimalisme viscéral s’accroche à ses nombreux projets et explose ici. Géante 4 est une pièce en deux parties d’exacte même durée (douze minutes et quarante et une secondes), dont la partition est graphique. Elle a été composée en 2010 pour le grand Stuart Dempster, tromboniste de son état et cofondateur avec Pauline Oliveros du Deep Listening Band. L’ensemble Eye Music l’interprète ; huit musiciens.
Nous nageons ici dans la haute mer de l’expérimental. La démarche d’O’Malley s’apparente à tout un courant musical réductionniste qui fleurit dans les années soixante. Un art sonore austère et exigeant, rejetant alors l’avant-garde européenne et l’atonalité. Sur ce disque, les instruments s’unissent, afin d’opérer une fusion dronesque éternelle. Pas de commencement, pas de fin, juste des vagues lancinantes aux reliefs parfois dissonants. La perte de repères prime et l’immersion doit être totale. On est loin de la "rêverie" ambient : notre écoute doit être active, comme pouvait le souhaiter Adorno. C’est un exercice de style que d’aucuns pourraient juger stérile, mais qui recèle une richesse subtile. Telle infime variation d’harmonium prend une ampleur démesurée, introduisant un nouveau mouvement, une évolution ténue qui permet de maintenir notre concentration. O’Malley imagine un cadre méditatif, invitant l’auditeur à se déconnecter de la réalité pour accroître une sensibilité que l’on pourrait croire perdue. Les nappes produites par le violoncelle, le trombone ou le synthétiseur garantissent par moments l’apaisement, mais le danger menace et les changements de ton nous alertent et démontrent que l’Américain a toujours aimé s’encanailler avec les forces obscures. Une œuvre dépouillée, élégante et finalement terriblement addictive.