Une présentation de Steve Von Till peut s’avérer nécessaire, même si sa carrière en solo est déjà conséquente. Probablement plus connu comme étant l'une des têtes pensantes de Neurosis, groupe phare de la sphère post-metal / post-hardcore / slowcore depuis le mitan des années 1980, l’Américain avait fait de la saturation une œuvre en soi. Aussi, les projets solo prenant généralement le contre-pied de l'acte principal (sinon pourquoi vouloir faire entendre sa fibre personnelle), on pouvait s’attendre ici à une expression plus acoustique, comme sur ses précédentes productions.
La surprise est de taille, tant la direction prise est déroutante. Certes, le dénominateur commun des projets de Von Till reste la recherche du son, la profondeur de l’évocation et une rigueur absolue dans la direction suivie. Mais il faut se figurer le tour de force que représente A Deep Voiceless Wilderness puisque aucune guitare (électrique ni même acoustique) n’y figure. Bien au delà de cet aspect factuel, Steve Von Till, à la manière des productions de Brian Eno, nous emporte dans un voyage au temps suspendu. Nous plongeons dès les premières notes dans une sensation fort envoûtante de rêve aquatique, de longue apnée au cours de laquelle le souffle resterait malgré tout continu. L’œuvre nous emporte vers un environnement lacustre apaisant, nous menant même par ce biais au fond de notre être. Cet album, minimaliste, si l’on accepte de s'abandonner, donne le sentiment de se perdre dans les méandres de l’infini avec délectation.
Il invite à travers les instruments choisis - mellotron, piano, violoncelle et autres synthétiseurs analogiques - à une introspection personnelle salutaire en ces temps troublés. Éloge de la lenteur, l’album n’est pas doucereux pour autant : il conserve l’acidité et le tranchant indispensables à sa pleine expression. L’air est immobile, la lumière diaphane.
Un baume diraient certains, peut-être même un début de remède, qui durerait au moins le temps de ces quelques trente-six minutes. Rien ni personne n'empêchera cependant de s'auto-prescrire une nouvelle dose immédiate. Chacun devrait donc trouver son compte dans cette invite méditative, où le contemplatif formulé avec élégance relève du spirituel. Les eaux troublées de nos vies retrouvent le temps de l’écoute de ce très bel album un état de suspension abyssale, de réconfort et de stimulation.