Vingt-cinq années après leurs débuts, on peut le dire : Patrick Lafforgue et Patrice Roques, les deux architectes en chef de Stille Volk, ont remporté le pari de s’assurer le respect de la communauté metal avec leurs créations acoustiques infusées de folklore traditionnel occitan. Une partie non anecdotique du mérite en revenait à la belle maison Holy Records, qui, peu soucieuse de conformisme, avait choisi dès 1997 de s’investir pleinement dans l’entreprise. Orphelin de ce partenariat historique, Stille Volk s’en est allé vers le plus logique des refuges, le puissant label allemand Prophecy Productions, où les artistes d’inspiration mythologique et populaire ont de tous temps été chez eux.
On pouvait se demander si cette expatriation serait suivie d’innovation dans les choix musicaux, et la réponse est oui, plutôt. Certes, voir Stille Volk faire évoluer les formes de son art n’a rien de spécialement étonnant. D’un album à l’autre, si les ferments ont toujours été préservés, on a vu le groupe s’essayer à de nouveaux instruments, intégrer un batteur, parfois de l’électrique, inviter des danses, absentes des premiers temps du groupe où le contemplatif et l’expérimental dominaient.
Afin de nous conter Milharis, le vieux patriarche pyrénéen, figure de la tradition païenne de cette contrée, Stille Volk adopte un son délibérément ample, très arrondi et disons le plus "rock" qu’à l’accoutumée, avec toutes les pincettes que le terme demande. Les instruments traditionnels ont moins valeur d’ambassadeurs de couleurs indigènes. Leurs voix naturelles sont moins exposées que sur La Pèira Negra (2014), pour ne pas remonter plus loin. En lieu et place, l’accent est mis sur le fusionnel. L’ensemble musical s’ébroue en meute et plante des tableaux rythmés, au soutien de vocaux tirés vers l’avant, très souvent arrangés en chœurs. Se dégage une véritable impression de masse, soulignée par une réverbération bien présente. Soulignée aussi par d’astucieuses salves de guitare électrique, qui éveillent sur certains passages un parallèle avec les relectures médiévales de Malicorne.
Effet Prophecy alors ? On ne s’empêchera pas de penser que le mix du Klangschmiede, studio inséparable du label, façonne l’album au plus près du goût d’un public acquis à ses productions. C’est peut-être un méchant procès, mais on n’aura pas trop de tristesse à l’intenter dans la mesure où la beauté, ancestrale et fière, des complaintes de Milharis n’en est pas particulièrement atteinte. Tout au plus faut-il faire un effort supplémentaire pour aller la chercher, et ce n’est sans doute pas un mal. Quoiqu’en matière de plaisir immédiat, la trame mélancolique de "Sous la Peau de la Montagne" fasse à l’auditeur un accueil on ne peut plus aimant. On citera aussi "La Mort de Milharis", qui renoue dans sa simplicité et sa gravité avec le mystère des premiers albums. Ou encore la superbe mélodie, mêlant polyphonie et vielle à roue, qui explose aux deux tiers d’ "Incantation Mystique", logiquement choisi pour être le premier extrait dévoilé.
Comme souvent lorsque le recul fait défaut il est difficile d’évaluer l’importance qu’aura Milharis dans la déjà riche carrière de nos adorés troubadours. Une réflexion s’impose cependant, celle qu’il y occupera une place toute légitime, qu’il reste un "simple" détour en terre vierge, ou qu’il désigne résolument les chemins à venir.