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Album
21/07/2024

Sunfrost

Lost

Label : Sunfrost
Genre : rock gothique et touche blackgaze / post-rock
Date de sortie : 2024/06/15
Note : 70%
Posté par : Sylvaïn Nicolino

L'entame de "Voices" annonce l'originalité : on sait déjà qu'on aura un rock gothique dans la lignée de Fields Of The Nephilim, mais le traitement des guitares positionne un son blackgaze tout contemporain. Il faut alors le renfort de la basse de David Amalric et le chant grave de Stéphan Cordary pour opérer la jonction avec le rock grandiloquent des années 1980 et du début des années 1990. Le brouillard moderne ainsi créé permet de dégager les notes lead et les riffs tout en gardant une assise bruitiste ("Try to forget") que le groupe arrête de courts instants pour mieux la replacer, ce qui sert au mieux les belles capacités de la voix. Avec "Reborn", le rythme étant plus enlevé, on peut raisonnablement songer que Sunfrost peut prendre une place singulière en se tournant vers le "Phoenix" de Satyricon (avec Sivert Høyem au chant pour les black metalleux). Le travail sur les textures atteint un bel état, permettant à chacun des musiciens d'être audible et fort, tout en renforçant un aspect échevelé. Lorsque la nappe bruitiste s'efface, laissant les pistes lead prendre le pas, la magie opère moins : sur "Beast", le tempo se ralentit et gagne en élégance mais la composition se fait trop riche : quatre instruments en note à note (Joel Galinski à la deuxième guitare, les claviers joués par Stéphan) pour tricoter ensemble une partition, ça fait beaucoup à suivre. La mise en orbite avec les nappes vient glacer avec efficacité le propos sur le final. "A Dream" souffre d'un parti-pris similaire : la composition pêche par sa densité et le propos se perd dans les pistes qui se déploient en parallèle ; le refrain a du mal à s'imposer tant le spectre est plein (les volutes de sirènes, une bonne idée, surnagent à peine alors qu'elles devraient être l'acmé de ce final).

Les arrangements portent, notamment le piano, métronomique, qui seconde habilement la basse jazzy et lui autorise des audaces dysharmoniques sur quelques notes, accentuant une tension, elle-même de nouveau équilibrée par la dualité du chant masculin-féminin (Alice C. rejoint Stéphan pour le duo percutant "Take the Risk"). Autre astuce vocale qu'on remarque durant "Salt Sea" où les références aux natives Americans forment une partition plus tribale ouvrant la plaine à un chant plus envoûtant de Stéphan. Assurément, l'une des pièce-maîtresses de ce troisième disque. "Last Card", plus direct, assure aussi son rôle, gardant quelques digressions comme marque de fabrique. C'est un passage plus vif du disque qui sert habilement la langueur introductive de "Inside" ; en effet ce morceau se distingue par son usage de l'électronique et du son donné à l'une des guitares, presque comme une clarinette, renforçant l'étiquette de "spleen rock" attribuée parfois au projet. La voix, cependant, trouve ici une limitation : la tessiture est belle, mais elle comprime les possibles dans les parties les plus vivaces. Le contraste est fort avec les périodes de délicatesse quasiment parlé à l'oreille et qui charment fortement.

Pour finir, le groupe déploie "Dead Water", violon joué au clavier, puis batterie mixée en avant et retour du brouillard gagnant : la longue introduction choie ses auditeurs ! Oser placer un tel titre en final rappelle les grands moments du rock gothique, quand le chef-d'œuvre était une longue pièce en fin de face B (Siouxsie avec "Switch", The Stranglers et leur "Genetix", The Cure et "Pornography", "Last Exit for the Lost" des Fields...). Sunfrost a une identité, du talent et un son. Il reste à resserrer le propos pour profiter pleinement des trouvailles et des ambiances posées.

Tracklist
  • 01. Voices
  • 02. Beast
  • 03. Try to forget
  • 04. Take the Risk
  • 05. Reborn
  • 06. Salt Sea
  • 07. A Dream
  • 08. Last Card
  • 09. Inside
  • 10. Dead Water