C'est à l'aube des années 1990, au pied des Pyrénées, qu'émerge Sus Scrofa. Resté dans l’ombre, méconnu, Sus Scrofa est pourtant un pionnier du black metal païen. Précurseurs discrets, peut-être trop, aux antipodes du tapageur, ils sont parmi les premiers à publier du black metal en France et parmi les premiers à parler de black païen et à proposer des créations empreintes du légendaire pyrénéen avec une identité propre bien loin des clichés contemporains. Pour Obsküre, Yan Arexis et Patrick Lafforgue se sont replongés dans le passé.
LA NAISSANCE
Obsküre : Bonjour Patrick et Yan, tout d’abord merci d’avoir accepté de replonger dans le passé et de parler avec nous de la genèse de Sus Scrofa. Mais commençons par le début, comment as-tu plongé dans le monde de la musique et en particulier du metal ?
Yan : De mémoire, j'ai commencé à écouter ces musiques, le hard rock (et ses vertus pédagogiques) avec des copains de mon voisinage d'ado. Des groupes mainstream, (ce qui est normal quand on débute (sourire)...donc je pense vers 1986, 1987 Def Leppard, Motörhead, Van Halen, etc. - puis en commençant à approfondir avec les magazines spécialisés, c'est d'abord le thrash qui m'intéresse : allemand, européen. Et puis, le gros choc sonique c'est Leprosy, de Death. J'ai eu d'abord cette réaction/fascination face à la masse sonore, au climat. C'est pour moi la porte qui s'ouvre, j'écoute beaucoup (tous) les groupes de death metal de cette époque. Ensuite le black metal arrive et donc j'achète les premières sorties de Darkthrone, Mayhem, Burzum, Necromantia, Rotting Christ, Root, Master's Hammer, Lemegethon, etc. Et il y a un rôle majeur de labels et distributeurs comme Thrash Records, Osmose, Avant-Garde, Holy Records...
De l'écoute à la pratique, comment t’es venue l'idée de fonder un groupe ? Il y a un certain décalage d'âge entre toi et les deux autres membres, comment vous êtes-vous rencontrés ?
Sans raison, sans que je puisse l'expliquer (mais j'ai toujours fonctionné comme ça dans ma vie), j'ai acheté une batterie du jour au lendemain, assez tard en âge, j'avais 19 ans. Et un jour j'ai vu un gars avec le logo de Treponem Pal sur un étui de guitare dans la petite gare de campagne de chez moi. C'était Patrick. Mais je ne l'ai pas abordé. Quelques semaines plus tard, à la FNAC de Toulouse, j'avais acheté un mini-LP de Morgoth et lui, à la caisse, était juste derrière moi. Je me suis retourné, je lui ai demandé si c'est lui que j'avais vu dans cette gare. Je lui ai dit : "je joue de la batterie." Le week-end suivant on jammait dans le garage de mon grand-père avec Rachid, un autre copain avec qui je jouais au début. J'ai été extrêmement impressionné, il avait le son d'Obituary. J'étais conquis. C'est parti comme ça. Donc, pour la différence d'âge, elle n'est que de trois ans, donc on ne pouvait se rencontrer que comme ça, à l'air libre… Donc, je pense que nous n’avons pas vraiment décidé de monter un groupe. Un feeling, une vision partagée s'est installée. On n’a pas trop besoin de se parler en musique.
Le nom Sus Scrofa signifie "sanglier", animal sacré chez les Gaulois et référence au dieu sanglier pyrénéen Baesertis, dont un autel a été découvert à Gourdan-Polignan en Haute-Garonne, qu’est-ce qui vous a plu dans ce nom ?
J'ai, entre autres, fait des études d'Histoire. Très tôt je me suis intéressé fortement au légendaire pyrénéen et aux divinités préchrétiennes. Nous étions tous fascinés par l'imagerie initiale, nature du black metal. Mais je sais que je trouvais complètement surfait de chanter en anglais (qu'on ne maîtrise pas en plus), d'aborder des thèmes scandinaves ou je ne sais quoi. Donc, le sens de vérité, d'authenticité que l'on avait nous a conduits vers ces choix. Concernant Sus Scrofa, je ne sais plus pourquoi. On aurait pu s'appeler Baesert, le dieu sanglier que tu évoques.
En 1991, l’époque est plutôt au death et au thrash, pourquoi faire du black metal ? Quels étaient vos liens avec les autres groupes de l’époque ?
Compte tenu de notre génération, au départ on écoutait du death metal dès 1988, 1989. Puis sort le second Darkthrone. C'est une telle magie… Je pense qu'on plonge dedans parce que ça répond à tout ce que l'on aime : mystique, inspiré, ultime, une dimension nouvelle dans le regard poétique sombre porté sur la nature, les riffs de fous, les tempos… Pour les liens avec les autres groupes, bon, il faut rembobiner. Nous sommes trois types paumés au milieu des Pyrénées. On achète des zines, des démos chez Osmose ou Holy Records ou Thrash Records. Patrick a eu des échanges avec Samoth ou d'autres gars. Personnellement, je n'ai pas de souvenirs de mes contacts. Assez faibles, en fait. Par contre le point majeur c'est qu’Embassy Productions nous propose, en 1994 je pense, de produire un premier LP. Le même label qui, la même année, sort le premier Gorgoroth. Mais nous avons arrêté, donc l'album n'est pas sorti.
MASTER OF NIGHTLY FOREST
Vous enregistrez une première démo non publiée dès 1991 intitulée Master Of Nightly Forest, vous faites donc partie des premiers groupes de black metal français mais figurez également parmi les pionniers de la seconde vague. Pour remettre en perspective 1991, c’est l’année où Thorns, Immortal, Enslaved, Dissection, Marduk, Impaled Nazarene, The Lord Diabolus ou encore Bestial Summoning, entre autres, sortent leurs premières démos. Darkthrone jouent encore du death, Master’s Hammer sort son premier album Ritual et Samael, Worship Him. Quelle ambiance régnait à cette période où tout était possible ? Quel esprit vous animait à l’époque ?
L'ambiance était absolument magique. Magnétique. Tellement underground. Tout était frais et génial. Ritual est clairement l'album qui nous retourne tellement il est juste et innovant. Pour l'ambiance, sache qu'avec Patrick nous étions en Norvège la même semaine que l'assassinat d'Euronymous. C'était assez tendu. Les blackeux qu'on croisait ne voulaient pas nous parler. C'était hostile. Et ça fait drôle de se lever un matin, d'aller acheter le pain et de voir la photo d'Euronymous en tenue d'apparat sur la une du journal local dans un village entre Oslo et Bergen. Nous, je pense qu'on était dans une inspiration mystique. Habités.
Pour ma part, je n'ai rien trouvé de plus sur ce premier essai, peux-tu nous en dire plus ? Quels sont les titres qui le composaient et y avait-il une pochette de prévue ?
De mémoire ça sonnait plutôt death metal, avec une teinte obscure - on dirait "blackened", aujourd'hui. La pochette était assez naïve, sur des thèmes un peu immatures. À ce stade, ça balbutiait. On a mieux compris ce qu'on voulait après au moment de Dins Ech Cel d'Astarté.
Comment se déroule le processus de composition ?
Patrick avait des riffs puis nous structurions ensemble, des choses complexes, jamais de facilité, on cherchait midi à quatorze heures. J'écrivais tous les textes. On faisait, comme toujours actuellement, les arrangements ensemble. On travaillait sur quatre-pistes à cassette. Il n'y avait que ça d'abordable. Nous n’avions que deux, trois micros bas de gamme, pas d'effets externes, du matos pourri. On bricolait. Mais c'était magique.
Une des photos a été prise dans une grotte de Cazavet, un lieu chargé d’histoire car on retrouve un oppidum mais également un ensemble de grottes naturelles dont la grotte d'Aliou et sa rivière souterraine ou encore la grotte ornée de Peyort. Tu pratiques déjà la spéléologie à cette époque ? Quelles sont les sensations que tu éprouves en explorant les entrailles de la terre ? Te sens-tu proche des premiers peintres des cavernes ? Et est-ce que cette passion s’est retranscrite dans la musique de Sus Scrofa ?
Tu es hyper renseigné dis-donc (sourire). On avait fait des photos dans ce secteur, je m'en souviens très bien. Mais je ne faisais pas de spéléo, juste de la visite de cavités avec mon cousin, sans équipement. Et les sensations ? C'est vraiment comme voyager ailleurs, hors temps dans ce que j'ai pu faire. Oui, clairement, l'art rupestre m'a toujours attiré, c'est lié à tout ce que l'on fait depuis presque quarante ans. C'est un mystère initial des premiers Pyrénéens/Hommes. Mais cela reste muet donc ce n'est pas cette période qui a le plus impacté Sus Scrofa, c'est plutôt les périodes qui vont du Néolithique aux premiers siècles de l'époque romaine jusqu'au Vème siècle après JC. Et puis le XIXème car il y a beaucoup de christianisation de monuments mégalithiques et en même temps les premières recherches archéologiques.
PAGANUS
La deuxième démo, Paganus, est enregistrée live sur un quatre-pistes, comprend quatre titres et une reprise de Venom, "Warhead". Elle est envoyée uniquement à un cercle restreint d’initiés. Peux-tu nous en dire plus sur les compositions ?
Moi j'aime bien cette démo et sa pochette, une photo prise par la mère de Patrick. C'est le premier vrai début du feeling que l'on aimait. Pour Venom, nous avions enregistré un après-midi, sans overdubs je crois. C'est brut et vrai. Tout le feeling de la seconde vague dans celui des pionniers.
Vous êtes parmi les premiers groupes français avec Prophecy à parler de metal païen. Si les premiers s’inspirent de la mythologie celtique et nordique, vous puisez déjà votre inspiration dans le fonds pyrénéen. En 1991, personne ne faisait ça, ou au mieux, ils se rêvaient en guerriers vikings, quelle que soit leur région. Tu es alors étudiant en histoire. Par quel biais avez-vous découvert les mythes des Pyrénées ?
J'ai eu un contact avec Etienne (Prophecy) il y a quelques années. Et je pense qu'ils ont véritablement été les premiers. Mais nous ne les connaissions pas à l'époque et je pense qu'on n'était pas du tout dans la même démarche. Je me suis intéressé au thème du légendaire pyrénéen tout seul. Le véritable point de départ c'est un livre que mes parents possédaient et qui s'intitule Guide Des Pyrénées Mystérieuses, de Bernard Duhourcau. À l'âge de dix ou onze ans, j'avais déjà ce livre… et je l'ai encore ! Et c'est lui qui m'a beaucoup marqué, influencé. C'était à la fois naïf et magique, truffé d'iconographie. Puis rapidement j'ai découvert les écrits d'Olivier de Marliave, un journaliste de langue française – en Espagne il y a Barandiaran – et là, ça a tout accéléré.
Est-ce que faire revivre les légendes et mythes pyrénéens allait de pair avec un cheminement spirituel ? D’ailleurs votre logo n’a jamais comporté de croix inversée, contrairement à celui qu’on peut voir dans le zine Key Of Alocer …
Le problème avec la mythologie pyrénéenne, contrairement à la mythologie scandinave, c'est qu'il n'y a pas de cosmogonie, de récit qui lie les personnages les uns aux autres. C'est toute la force de l'EDDA par exemple. Donc aucune chance de tirer de ça un substrat philosophique. Pour ma part, ce sont plutôt les philosophes, Nietzsche notamment, qui m'ont éduqué, aidé à me cultiver. Comme Shakespeare aussi, et d'autres, et ça continue aujourd'hui. Je lis de tout.. il faut lire de tout non ? (grand sourire)
Alors le logo, au début, comportait des croix renversées. Je pense plus sous influence de Death, par pur mimétisme adolescent qu'autre chose. Puis on a réfléchi deux minutes… on s'est dit : "mais c'est complètement con." D'abord, on n'est pas d'obédience chrétienne, la croix, renversée ou pas appartient à l'iconographie chrétienne, nos thèmes, nos centres d'intérêt sont ailleurs. Et, personnellement, je trouve et trouvais la liturgie, l'iconographie chrétienne très belle, très mystique, donc pourquoi j'irais mettre les pieds là-dedans ? Intellectuellement, ça n'avait aucun sens. Après, j'ai étudié l'histoire chrétienne orientale et occidentale. C'est passionnant et cela resitue cela dans l'histoire de l'humanité. Moi, je m'intéresse à ce qui était avant ou à-côté, mais quand je peux entrer dans une église, un temple, c'est avec plaisir. L'histoire des hérésies est passionnante. Dommage que beaucoup de personnes croyantes soient si ignares de l'histoire religieuse.
DINS ECH CEL D'ASTEARTIA
Vous entrez dans un studio douze pistes pour l’enregistrement de Dins Ech Cel d’Asteartia. On change d’échelle, vers une démarche plus professionnelle. Comment s’est passé l’enregistrement ?
Professionnelle ? Je ne pense pas. C'est trois gars ultra-passionnés qui se payent des jours de studio. En fait, on a découvert quelques trucs sur l'enregistrement, des trucs pratiques. Mais on s'en foutait. Nous, ce qui nous importait, c'était comme d'écrire un livre, ou des poésies ou dire une messe. C'était 100 % d'inspiration.
La pochette est un tableau représentant la chevauchée d’Hérodiade, la mère de Salomé qui fit décapiter Saint Jean Baptiste. La scène est inspirée d’un long poème d’Heinrich Heine Atta Troll dont une partie se passe dans les Pyrénées. Le narrateur décrit une chasse sauvage à laquelle il assiste depuis la cabane de la sorcière d’Uraka, dans le Ravin des Esprits, la nuit de la Saint Jean où Hérodiade chevauche aux côtés de Diane et de la fée Habonde. C’est une gravure de l'artiste allemand Peter Collien. Pourquoi cet artiste ?
Alors, je te remercie de me donner la source, car voilà trente ans que je la cherche. Non, en fait le dessin est présent dans le Guide Des Pyrénées Mystérieuses mais sans référence. C'était exactement nous pour cette démo ! Il y a un côté psyché, je trouve, même…
Apparemment, il semblerait qu’il existe deux versions de la pochette, une blanche et une noire, la noire semblant la plus standard ?
C'est possible je ne me souviens pas de ça.
La musique oscille entre black metal cru et passages plus folk avec des voix claires, incluant quelques instruments acoustiques comme les tambourins et kuchkullas, d’ailleurs Aghéion / Breiner et Fagus / Patrick Lafforgue sont respectivement ébéniste et facteur d'instruments à corde envie. Vous n’avez pas eu, à cette époque, envie d’intégrer des instruments traditionnels ?
Peut-être qu'Aghéion était à l'époque dans un cursus d'ébéniste. Mais en revanche, Fagus est luthier. À l'époque il fabriquait des guitares chez Lag. L'inclusion d'instruments archaïques entrait complètement dans cette idée d'aller au cœur de ce que l'on portait, sans se mentir. On n'avait pas encore d'instruments traditionnels. Mais évidemment ça s'est traduit, tout ça, dans Stille Volk, où là on abandonne tout instrument moderne pour utiliser des instruments anciens, pour aller encore plus loin dans cette recherche d'authenticité.
Vous sentez-vous proches du mouvement folk des années 1970 dans votre approche, à réinterpréter une musique ancienne avec une approche contemporaine ?
Oui, clairement on a beaucoup écouté des trucs comme Tri Yann, Freta Monilh puis Ange ou des trucs d'acid folk mais aussi les grands noms de la musique ancienne, les réinterprétations de partitions de chansons de trouvères et troubadours (on en entend d'ailleurs sur la dernière démo). Donc on écoutait ça effectivement. On a utilisé tout ça dans notre musique d'aujourd'hui. Mais beaucoup plus dans Stille Volk.
Sur cette démo vous chantez en français et en occitan, alors que sur la précédente les titres étaient en anglais. On retrouve dans cette démo une version occitane de Lord Akerbeltz présent sur Paganus. Quant au titre, c’est du catalan qu’on peut traduire par "Dans le ciel d'Astarté". Vous parlez quotidiennement nativement ces dialectes ?
Un mythe tombe mais on ne parle pas ces dialectes. On comprend. Mais j'avoue que ça ne m'intéresse plus depuis longtemps.
D’ailleurs sur la pochette on peut lire : "Ceci est dédié à tous les Pyrénéens conscients de leur singularité." Peut-on y voir comme une prise de conscience à l’instar du texte La découverte ou l’ignorance interprété par Tri Yann ?
On avait tous les idéaux de la jeunesse. Ça marque un temps de nos vies.… Un beau disque que celui de Tri Yann.
Dans les années 1970, le milieu folk pyrénéen était déjà un mouvement fortement politisé, et dans les années 1980, dans un autre style musical, des groupes comme Kortatu et Negu Gorriak militent en faveur de l’indépendance du Pays Basque et pour la défense de leur culture. Vous avez toujours refusé de mélanger politique et musique. Est-ce qu’à l’époque vous fréquentiez ces cercles ?
Non, on en a plutôt rien à fiche… Depuis Sus Scrofa , tout, absolument tout ce qu'on a fait ensemble avec Patrick (y compris L'Homme Sauvage) ce n'est QUE ! de la poésie, de la création. C'est vouloir voir autrement les Pyrénées, la nature. Je préfère les Pyrénées sous la brume que sous le soleil, c'est plus inspirant. Le reste, c'est la vie sociale, la vie politique. Mélanger les deux en art, ça m'ennuie plus que tout, ça pollue mes passions, donc de là à me terrer dans des cercles auxquels je ne pige rien… non, j'ai d'autres envies dans la vie.
Niveau look pour cette démo, vous abandonnez le corpse paint black metal pour arborer des tenues plutôt atypiques pour l'époque comme des costumes traditionnels de votre région. Vous étiez déjà lassés des clichés liés à ce style pourtant naissant ou aviez-vous la volonté d’exprimer quelque chose de différent ?
Clairement oui. Les clichés, la facilité étaient déjà là. On n’a jamais compris pourquoi les mecs se sont mis à faire du corpse painting par imitation. Je ne comprends toujours pas. Inventez autre chose les gars ! Comme dit Napalm Death, "leaders not followers". Mais aujourd'hui les leaders (d'opinion) se jugent aux nombres de followers et pas au fait qu’ils aient écrit un essai de six-cents pages sur un sujet de fond qu'ils ont mis dix ans à étudier... Débile !
La démo distribuée par Osmose production et Holy Records se vend à six-cents exemplaires et vous donnez des interviews dans Key Of Alocer, un fanzine néo-zélandais. Comment a été accueillie la démo à sa sortie ?
Ça n'arrêtait pas. Six ents exemplaires, c'est beaucoup. Au final, de fil en aiguille, ça attiré l'attention sur nous et sur la suite : Stille Volk.
Fin 1994, une démo deux titres était annoncée avec au programme un changement musical, de même, vous mentionnez dès 1992 la possibilité de sortir chez Embassy Records, un split LP ou un LP, pourquoi aucun de ses projets n’a-t-il vu le jour ?
On a splitté.
Une soirée d'hiver 1994, alors qu’il neige à l’extérieur, vous partagez un concert avec le groupe Eviternity dans lequel joue Patrice Roques. Lors du repas de ce concert, vous échangez sur l’idée de créer une musique uniquement acoustique. Peu à peu, l’idée fait son chemin et quelques semaines après naît Stille Volk, auquel les trois membres de Sus Scrofa participeront. Comment avez-vous fait la connaissance de Patrice ? Pourquoi avoir arrêté Sus Scrofa ?
Alors, Patrice est une véritable mémoire de tout ça. Moi, non (sourire). Mais je crois qu'effectivement on fait ce concert dans le Gers au Cou Cassé et nous nous trouvons des points communs sur la musique trad, The Pogues, l'histoire, les Pyrénées... etc. On a dû se donner rendez-vous une ou deux semaines après, chez moi, on a dû répéter, ça a collé et nous avons dû enregistrer une première démo sur mon huit pistes cassette.
LA RENAISSANCE
Le groupe revient vingt ans plus tard, en 2015, avec un EP quatre titres nommé Sinistra Sylva, comment s’est passé l'idée de la reformation ? Vous avez tous de nombreux projets parallèles parfois éphémères dans des univers musicaux très variés, pourquoi l’envie de revenir à Sus Scrofa ?
Je pense qu'on avait encore en nous du feu, une musique à dessiner ! Donc on s'est dit : go ! On a envie de le faire, on l'a fait. Nous avons eu quelques propositions de labels et on est partis avec ce gars de Russie qui proposait un format A5.
Le mini-CD est un concept album que tu as développé, comment en est née l’idée ?
C'est né de textes écrits, de dessins que je faisais. Ça parle de forêt sombre et habitée. L'idée de fond, c'est toujours l'animisme. J'y reviens toujours, c'est en moi. C'est sain, intime, personnel, poétique, philosophique.
En vingt ans, le monde musical avait bien évolué. En 1991, vous n’étiez qu’une poignée de groupes à pratiquer un genre émergent : le black metal, alors qu’en 2015 pléthore de groupes existaient et le pagan black metal était devenu une sous-catégorie à part entière. Quel regard portez-vous sur cette évolution ?
Je n'écoute guère de black metal. Ça m'ennuie pas mal. Des fois, souvent il y a de bonnes choses chez ceux qui venant du BM font une autre musique en gardant une certaine essence, surtout s'ils sont de bons musiciens, de vrais poètes, de vrais artistes et pas de petits suiveurs à deux balles qui se contentent de crier aigu. Après, tout ça s'est bien (mal) financiarisé, organisé pour produire des tournées ennuyeuses à tour de bras avec toujours les mêmes, année après année. Par contre, de bons disques qui tirent une racine lointaine sortent du sillon, suivent un chemin créateur, ouvrent du nouveau. Car j'aime bien ceux qui osent.
Malgré toutes ces années d’absence, le mini-CD a été favorablement accueilli. Là encore, la possibilité de faire un album est évoquée au moment où chacun d’entre vous sort un de ses projets, La Breiche pour Lafforgue et toi et Malobestio pour Breiner. Mais là encore, malgré les annonces, rien ne sort. Il y aura t-il un successeur ?
Non, c'est bel et bien fini.
Enfin au gré de vos multiples projets, vous explorez toutes les facettes des Pyrénées, son côté minéral avec Cober Orb / Coume Ouarnède, son légendaire le plus inquiétant avec par exemple Aurost (oraison funèbre) ou Hantaoma (fantôme), le côté spirituel avec La Breiche et le Festival de L’Homme Sauvage et bien sûr le légendaire avec Stille Volk. Que penses-tu du monde dans lequel nous vivons, un monde qui se coupe de plus en plus de la Nature et qui a perdu la culture de ses régions et qui cherche désespérément à réenchanter le monde ? | "Le paradoxe de la modernité qui, tout en donnant à l’individu droit à l’existence, le standardise dans les modes de vie et l’économie, le fait disparaître dans la foule." Pierre Jourde (La Pléiade, extraits de la notice de Romans et nouvelles de Huysmans à la Pléiade)
Ce que je pense du monde ? Est-ce que mon opinion compte ? Je ne vais rien apporter de plus, en fait. Je pense que malgré ce qu'il est, malgré la peur qui commande et domine, le monde est ce qu'il y a de plus beau. Que le paradis est sur Terre, dans le quotidien de la nature magnifique. Je vis et je travaille dans les Pyrénées et c'est beau, j'essaye de me le dire au quotidien. Après, à chacun de lire, de se cultiver, de garder son intégrité intellectuelle, de ne pas se standardiser, de ne pas confondre la pensée et le commentariat, de se démerder par soi- même. L'Homme Sauvage, puisque tu en parles et parce que c'est ce qui me tient à cœur, n'a rien à expliquer, rien à guider. C'est un acte poétique, une création, c'est tout ce qui compte et ça fait du bien. Ça symbolise un peu tout : on parle peu, on fait, on n’attend pas de réussir !
Merci infiniment d’avoir bien voulu revenir sur un pan du passé, je te laisse conclure.
Déjà, merci. Je suis sidéré de tes sources. C'est un sacré travail d'investigation et de compréhension de la genèse de tout ça. De fait, tu as saisi notre état d'esprit. Merci de me permettre de parler de tout ça.
