En 2017, Michael Gira avait annoncé la fin de la précédente incarnation de Swans et son épique mur du son qui avait donné à la formation des albums aussi massifs et monumentaux que The Seer (2012), To Be Kind (2014) et The Glowing Man (2016). À présent, Gira préfère faire appel à des musiciens qu'il connaît en fonction des ambiances qu'il recherche, et le casting réuni dans ce Leaving Meaning est plutôt affriolant : Baby Dee, The Necks, Anna & Maria von Hausswolff, Ben Frost, A Hawk And A Hacksaw, Norman Westberg, etc.
Dès les premières notes, on sent bien que cet album va s'orienter vers des paysages plus doux et plus en accord avec des schémas de chansons traditionnels. Le retour à la facette folk/country/gothique la plus mystique que le projet avait explorée à la fin des années 1980 (Children Of God, The Burning World) est clair. Incantatoire et crépusculaire, le disque nous plonge dans les hymnes rituels d'un étrange culte religieux, avec une poignée de titres à faire des frissons dans le dos ("Amnesia", "My Phantom Limb", "Cathedrals of Heaven"). Les morceaux ont eu beau être raccourcis, le sens de la répétition et de l'hypnose est plus présent que jamais. Ces leitmotivs musicaux pourraient presque s'apparenter à des ritournelles de fin du monde dans ce disque où le post-rock se tourne clairement vers l'apocalyptic folk. On ne s'étonnera pas non plus qu'un bon nombre de membres d'Angels Of Light aient participé à l'album, tant le retour à cette facette semble évident, avec cette fois-ci une dominante certaine du piano et du vibraphone. Pourtant la rythmique krautrock, la ligne de basse obsessionnelle et la montée en tension de "The hanging Man" découlent à n'en pas douter du son sculpté par le groupe dans la période 2010-2017. Pour le reste néanmoins, nous sommes dans bien autre chose. C'est aussi la force de Swans : ne jamais se reposer sur les attentes du public.
"Hums" pose clairement cette volonté d'une musique à mi-chemin entre l'ambient, la folk et le son drone. La douceur évanescente d' "Annaline" nous rappelle que Gira peut être un crooner génial et que ses ballades pourraient faire pâlir de jalousie l'ami Nick Cave. La nouvelle version d' "Amnesia" - titre de Love Of Life - se révèle quant à elle très éloignée de l'originale : du pur southern gothic, flippant à souhait avec des chœurs dissonants comme Jarboe en avait le secret, un chant psalmodié des plus vibrant et une folk aussi noire que celle du morceau culte "Failure". "Leaving Meaning" continue dans cette veine, avec une beauté plus onirique mais aussi une maîtrise de la répétition qui le transforme en transe délicate. On comprend pourquoi il donne son titre à l'album : il en représente la quintessence.
Plus fou et psychédélique, "Sunfucker" mêle chants rituels et chœurs enfantins grinçants pour le meilleur effet. L'inquiétude et l'angoisse ne nous quittent pas sur "Cathedrals in Heaven" et son final aux airs de chant tibétain. Ici, c'est l'atmosphère qui prime, et le morceau de bravoure "The Nub" ne le démentira pas. Plus improvisé, il se dirige clairement vers les soundtracks de films d'horreur, mené par le chant lent et hanté de Baby Dee, jusqu'à une grandeur finale qui pourrait sortir d'une bande originale des plus ténébreuse de Lalo Schifrin. Le style gospel/country est encore développé sur "It's coming it's real", mais le disque retombe un peu avec le plus rock "Some new Things" - bien qu'il apporte une couleur énergique à l'ensemble - et la ballade "What is this" (Gira a fait bien mieux dans le genre). Heureusement, les superpositions de spoken words de "My Phantom Limb" en reviennent au malaise. C'est noir et martial. Le terme "Sacred" est répété encore et encore, comme du temps de "Holy Money" jusqu'à l'ascension et l'élévation finale. Impossible d'offrir meilleure conclusion à pareil album.