Swans n’ont jamais fait de mauvais disques et ce n’est pas avec ce seizième album qu’ils vont déroger à la règle. Enregistré à Berlin, The Beggar est clairement dans la lignée du précédent Leaving Meaning. On y retrouve des passages folk et ambient plus apaisés entre des sessions plus intenses et orchestrales, toujours empreintes de ce rock incantatoire aux allures de grand messe que le projet de Michael Gira a développé depuis ses débuts en 1982. "The Parasite" est en ce sens un très beau morceau d’ouverture. Les chœurs sont enchanteurs et divins et la voix de Gira, crooner plus que jamais, semble annoncer une apocalypse à venir. En effet, il en revient ici à ces complaintes hantées qui ont marqué les style Swans depuis les années 1980.
Des années 2010, cet album garde une dimension épique – pas moins de deux heures pour onze titres -, des morceaux qui ne sont que des montées permanentes, et l’envie de plonger l’auditeur dans de longues plages immersives proches de la transe. Le post-rock de "Paradise is mine" est ainsi bien dans la suite de ce que le groupe a exploré depuis sa réactivation, mais le bruit s’est considérablement atténué pour laisser place à un univers au final très mélodieux. "Los Angeles : City of Death" a, au bout du compte, un format de chanson rock assez classique et aurait pu figurer sur White Lights From The Mouth Of Infinity ou The Great Annihilator. Écrit pendant le confinement avec un sacré casting de musiciens historiques du groupe, la tonalité est clairement sombre, voire gothique, hantée par la mort. Cela dit, nul n’a jamais attendu une musique joyeuse de la part de Swans. Ceux qui n’aiment pas le maniérisme torturé peuvent aller voir ailleurs (l’ambiance menaçante et le cri étrange de "The Beggar"). Les cloches et les cuivres funèbres sont de sortie, et on frise souvent le religieux ("Ebbing").
Et si les ballades peuvent sembler moins fortes ("Unforming", "No More of This"), c’est surtout parce que la dernière heure est juste terrassante de beauté, avec "The Beggar Lover (Three)" et ses quarante-quatre minutes. Véritable pièce d’avant-garde, ce morceau unique et très cinématographique (l’introduction nous met d’emblée dans des atmosphères crépusculaires à la Ligeti ou Penderecki) est sans nul doute le plus ambitieux et sûrement le plus fort de toute la carrière du groupe. En fait, ce titre est un album en soi qu’on n’aurait pas peur de désigner comme une chef-d’œuvre. Et c’est sans compter sur le mantra psychédélique de la fin ("The Memorious") qui nous fait penser que si c’est là la nouvelle direction que prend le groupe, on est clairement à fond pour les suivre.