Les lettres de noblesse du rock gothique ont été couchées, pour l’essentiel, dans les années 1980 et au début des années 1990. En 2024, le projet d’origine allemande et actif depuis plusieurs années Sweet Ermengarde est de ceux qui, dans la catégorie "génération nouvelle et musicalement aguerrie", conservent mémoire et investissent, à leur manière, un héritage.
Les colorations générales de Sacrifice ressemblent d’ailleurs à un hommage plus ou moins direct et voyant au Fields Of The Nephilim de la fin des années 1980 et du début des années 1990. La voix du nouveau chanteur Drew Freeman, intégré ces dernières années, ainsi que l’approche des guitares et des textures s’ancrent dans cette micro-tradition du rock : ses codes sont respectés, une vibration nostalgique parle et il sera assez difficile pour certains – dont nous sommes – de ne pas éprouver ce plaisir simple et vivifiant d’une "nouveauté dans l’ancien". Les compositions de Sweet Ermengarde, assurément, portent une énergie, une esthétique. Et puis il y a dans cette collection l’idée une narration faite sienne anciennement par le groupe phare sus cité : assemblage des structures en vue de grandes formes épiques, recherche d’un éclat mélancolique, puissance d’une mystique. Le morceau lent "Fragments", qui ouvre le bal, se divise en deux sections entre lesquelles s’insère, non sans flamme, le rock gothique "Faith Healer". La partie atmosphérique de la première section de "Fragments", dans l’effet recherché , fait rappel évident du "At the Gates of silent Memory" de Fields Of The Nephilim (Elizium, 1990), jusque dans les collages de voix. C’est réussi, pour le moins, et si vous aimez les guitares élégiaques et à l’ancienne de FOTN, vous tomberez sous le charme. Sweet Ermengarde refera le coup de la scission en plusieurs parties sur un autre chapitre interne à Sacrifice, "Soul Surrender". La force du référentiel Nephilim est aussi alimenté par le grain de voix de Freeman, dont les résonances dramatiques à la McCoy ont été remarquées sur le récent opus studio du projet All My Thorns. Ce chanteur, clairement, a trouvé un terrain de jeu idéal.
Le début de Sacrifice, cure de jouvence pour les adeptes attendant du neuf de la part de McCoy, Pettitt & co. depuis dix-huit ans, ne doit pas occulter une autre réalité : les reliefs sont typés, mais le groupe ne se cantonne pas strictement au respect d’une codification établie par d’autres. Le groupe développe des univers en propre, et Sacrifice reste avant tout une création originale. Et la manière est forte. Efficient dans ses chimies les plus ramassées ("Asylum Visitor"), Sweet Ermengarde évite l’écueil de la linéarité, ses énergies fluctuent : les tournures les plus enlevées formalisent un rock gothique emphatique et maîtrisé (l’entrée de "Sweet Sacrifice", en plus de "Faith Healer"). À d’autres moments, Sweet Ermengarde joue d’une rythmique à la fois plus écrasée et rapide en vue d’asseoir un rock massif ("Viscera" ou encore "The 5th Horizon", lequel inclut des chœurs sentis de Caroline Blind). Les dimensions romantiques et rêveuses du son, elles, l’emportent sur les morceaux plus lents ("Silent we mourn", ou ce groove posé sur "Soul Surrender") mais les consistances métalliques qu’adoptent les guitares, plus voyantes sur la seconde moitié du disque, extraient ce son du référentiel purement goth 80’s. Sweet Ermengarde formule alors et personnalise un gothique "de son temps". Une collection de chansons solides, que conclut un final ambiant et à la trouble religiosité, "Of her Heart’s Ocean".