Avec sa musique, Sylvgheist Maëlström décrit autant qu'il dénonce. Ses rythmiques tapent, déconstruisent, suggèrent des angles, puis des espaces immenses, des aspérités et des soudaines glissades. C'est, avec les titres explicites de son cinquième album, les éléments qui donnent à sa musique instrumentale sa dimension picturale. On voit le décor se dessiner, mesure après mesure, en une promenade accompagnée.
Accompagnée car sa musique est également une leçon : les nappes des claviers associées aux mélodies sont la dénonciation et les sentiments variés qui ont saisi le musicien et qu'il parvient à communiquer. C'est comme s'il était là, à côté de nous faisant face à ces lieux ou ces situations et nous chuchotait son dégoût, son énergie, ses joies et ses tourments. Et il réussit à surprendre puisque le très cadencé "Döstädning" promeut une manière d'aborder son propre décès avec lucidité : le grand rangement consistant à se défaire du superflu (afin d'éviter aux proches d'avoir à la faire en plein deuil) est ici exposé avec un entrain de prime abord étonnant : c'est une force vitale qui s'écoule, à l'instar de celle qui saisit certains végétaux capables de donner leur plus belle floraison à l'aune de la mort. D'autres moments accentuent cette envie de danser et de faire danser malgré la noirceur : ainsi "Vae_Victis", certainement du côté des vaincus, s'arroge les basses trépidantes et même des volutes d'une musique traditionnelle bien audible en second plan (une sorte de mélopée narquoise à l'accordéon ?).
C'est que l'album tourne et vrille sur le concept de la domination : celle entre les individus, celle de l'Homme sur la nature, celle conduisant à la destruction des identités imposée par le néo-libéralisme. Pas de doute : on rendra coup pour coup et les martèlements rythmiques en couches superposées renvoient parfois à une idée de bataille rangée faite de bric et de broc ("Attrition" et ses sonorités ludiques). Les mélodies gardent en elles cette capacité à s'énerver ("Asphyxie"), à dire plus, à faire des voltefaces, ce qui se déploie à travers des rythmes mouvants, évolutifs, légèrement ralentis ou accélérés ("Gandrange"). Sylvgheist Maëlström apprécie aussi la mélancolie et partage ce sentiment sans abandonner les aspérités de sa musique, concassant et broyant tout en étirant l'amertume, ce dont témoignent "Détroit" et le plus hypnotique et doux "Venera".
La rigueur sur le travail des sons fait partie du plaisir pris à déguster cet album puisque chaque titre a son détail qui tue : pour donner un exemple, j'aime assez la trituration synthétique qui fait le sel de "Florange", quelque part entre la techno big-beat et le mur saturé du harsh-noise, laquelle se voit ensuite secondée par une sorte de gimmick 8-Bit.
Quatre ans ont été nécessaires pour élaborer et agencer ces morceaux dont l'unité est flagrante (mastering par Eric Van Wonterghem de Klinik, Absolute Body Control, Monolith et Sonar, entre autres). Il y avait à l'esprit le scandale de la Vallée de la Fensch, ces forges et aciéries abandonnées par l'industrie alors que les ouvriers souhaitaient poursuivre leur travail, ce qui donnait également une identité à ce territoire depuis plusieurs décennies (une situation comparable à celle dressée par l'écrivain John Burnside dans Une Vie De Nulle Part). Les Muckrackers s'étaient emparés avec énergie et violence du sujet, Sylvgheist Maëltröm relit après coup cette situation et la relie à d'autres situations dramatiques (dont la sienne et celle du "SARS-CoV-2") ainsi qu'au retour cyclique des catastrophes climatiques. Ainsi, il dresse un tableau déconcertant et pourtant habité, généreux et porteur de vitalité d'un monde en évolution. Un texte dans le livret pousse à approfondir : c'est un extrait de Capitalisme, Désir & Servitude – Marx et Spinoza, signé par Frédéric Lordon. Pour les autres, le projet tourne et vous pourrez le déguster en live avec projections ces prochaines semaines.