Si le spectre de J.G. Ballard était déjà bien présent dans le premier roman de Sébastien Gayraud (Camera Obscura, Camion Noir, 2015), il a décidé de dédier son second exercice dans la fiction au grand romancier britannique et à rendre hommage à ses deux œuvres fétiches : IGH (High-rise) et La Foire Aux Atrocités.
Camera Obscura et Galerie Noir forment d'ailleurs presque un binôme. Si le premier nous narrait l'histoire d'un réalisateur italien qui avait collecté dans sa villa des archives filmées des catastrophes humaines du XXe siècle, ici le point de départ est un cabinet de curiosités à l’intérieur d'une tour ultramoderne (la tour Antenna) où des œuvres éparses, macabres ou violentes, ont été rassemblées. Le postulat n'en est pas moins fantastique car cette prouesse architecturale, sans angles droits et entièrement faite de lignes obliques, a la capacité de se reconstruire en permanence. On est donc presque dans un récit d'anticipation à la Brussolo alors que le précédent livre empruntait plus volontiers au roman gothique anglais traditionnel.
Rassemblés dans cette tour de 180 mètres de haut et de 44 étages, différents personnages évoluent dans cet espace imaginé par le Québécois Christian J. Christian (l'origine canadienne semble être un clin d'œil à Frissons de David Cronenberg). Ils explorent ainsi les recoins sombres de la tour, ses sous-sols et ce gouffre noir caché derrière une porte, au son de musiques que les lecteurs d'Obsküre connaissent bien (Death in June, Geins't Naït, David Bowie, Pere Ubu, Cocteau Twins, Cabaret Voltaire, Ministry, etc.) tout en s'abreuvant d'images mythiques (tableaux de Goya, courts métrages de David Lynch, films d'exploitation...). On y retrouve Le Voyeur, atteint de symphorophilie (une excitation sexuelle due aux accidents comme dans Crash ! de Ballard), la psychiatre Nathalie De Salvo et le "Prof de cinéma", Sébastien, conférencier spécialisé dans le found footage et alter ego de l'auteur qui offre ici une autobiographie ludique, à peine déguisée sous la forme fragmentée du récit.
En effet, dès que l'épilogue est installé, Galerie Noir va nous faire une visite guidée de ce que l'on peut retrouver dans ce lieu insolite : conversations téléphoniques, notes de tueurs en série, cartes postales de lynchages, photographies de camps de la mort, légendes urbaines sordides, archives filmées des guerres coloniales, VHS de nazisploitation, images de dissection et d'autopsies... Le roman devient alors un trip hallucinogène au sein de l'art sinistre et des horreurs commises par l'homme, mêlant le populaire et l'élitiste et entrecoupé de moments de vie des personnages, souvent liés au Prof de cinéma et à la psy, qui apportent un peu de légèreté dans l'exploration de ces "écrans carnage" et de ce "cinéma coma". Car oui, il y a aussi beaucoup de second degré ici, comme si l'auteur riait de ses propres obsessions et de sa propre vision désabusée de l'état du monde.
Galerie Noir se révèle ainsi comme un roman-patchwork semi-autobiographique plein de sentiments contradictoires, à la fois drôle et morbide, référentiel et désabusé. L'imaginaire apocalyptique s'explore avec détachement et humour, au son de musiques post-punk et en buvant des bières bon marché.