À vrai dire, ma rencontre avec cet album est un peu due au hasard et beaucoup à une (saine) curiosité. Sa sortie date de quelques semaines déjà mais sa découverte tardive ne devait pas empêcher une chronique.
J'avais croisé Nicolas Puaux, instigateur du projet à diverses reprises aux cours des dernières années. Sa présence sur le dernier et excellent (quoique controversé) album d'Ez3kiel (La Mémoire Du Feu) m'avait conduit à tirer un peu le fil d'Ariane concernant notre homme. L’excellente formation dans laquelle Nicolas jouait avec son frère Antoine nommé Narrow Terence avait apporté un premier exemple de ses flagrants talents.
Le nouveau projet solo, Tereglio, du nom d'une commune en Italie où l'idée même de cette échappée personnelle a germé, relève d'un genre folk que l'on pourrait considérer déconstruit. Il y a de prime abord tous les marqueurs du genre mais on se rend rapidement compte que Woven Eyelids va bien au-delà de ces schémas traditionnels. Nicolas Puaux s’y révèle passeur de superbes trésors.
Les écoutes successives attestent d'une finesse particulière dans l'écriture. Les titres sont hantés, il y est question de fantômes, d'océans, de tempête et de ciels. Les éléments naturels sont rugueux mais éthérés, le suprasensible côtoie le spirituel. Le voyage est minéral, organique et il saisit l'auditeur tant par la pureté de la voix que par les arrangements apportés avec soin mais sans effet de manche.
Mais il est également ici question, beaucoup, d’humanité, de chair, d’os. Les amours sont égarées, perdues, tristes. Les corps souvent brisés, épuisés et meurtris. Les sentiments chaotiques prédominent, emprunts de pertes, de regrets, de ruine intérieure. Nicolas Puaux est un magnifique conteur ("All the Havoc made") à l'instar d'un Nick Cave sur Murder Ballads. Les tableaux sonores qu'il peint ont cette texture mélancolique, cette épaisseur dramatique, ce terreau brumeux mais avec une résistance lumineuse qui est la marque des plus grands.
L'album enregistré dans une maison en bordure de l'océan atlantique est imprégné de cette mystique marine, notamment sur "Jersey Thursday", emprunté avec grâce à Donovan. Trombone, trompette, piano viennent renforcer le propos des guitares acoustiques et c'est Zero Gravity, le projet electro ambient d'un historique d'Ez3kiel, Johann Guillon, qui vient noircir, apporter de l'étrangeté à cette folk neurasthénique comme se plaît à l'appeler Nicolas.
Tereglio navigue avec aisance dans le clair-obscur, dans l'espoir sans lendemain, dans l'affliction radieuse. L'itinéraire spectral tracé avec élégance par Tereglio est balisé d'une beauté bouleversante, captivante et la dramaturgie du récit envoûte. Les chœurs assurés par Clémentine de Champfleury ("Lovely Pain") apportent une délicatesse supplémentaire, une chaleur réconfortante, une présence tendre. Ce dernier titre, nous évoque les premiers albums de Sophia, c'est peu dire. Les ombres de Matt Elliot ou de Troy von Balthazar viennent aussi incidemment traîner leurs guêtres par endroits, de façon discrète et sans que ces filiations ne deviennent présences pesantes.
Cet album est véritablement bouleversant : un fil conducteur entre le sombre et le lumineux, une bouée diaphane dans un océan tumultueux, un éclair fugace mais tenace dans une incandescente obscurité. On sort de ces écoutes, déjà nombreuses, secoué, ébranlé mais heureux d’avoir partagé la route de Tereglio, d’avoir été son quasi-confident, d’avoir partagé avec lui ces moments suspendus où la beauté des sons et des textes apaisent l’existence.