En 2016, l'entité extrême Terra Tenebrosa (projet né des cendres de Breach) sort ce qui restera son troisième et ultime essai studio après sa dissolution, en 2021 : The Reverses. Un disque à guests. Obsküre dévoile aujourd'hui un entretien dont la parution devait originellement avoir lieu dans le numéro 29 de feu son édition physique, Obsküre Magazine. Un numéro qui ne parut jamais... Mais la fin justifie les moyens, et nous avions prévenu, il y a quelques mois : de temps à autre, nous irions fouiller dans les archives, et remettre en lumière.
Obsküre : Il semble que Terra Tenebrosa ait développé une sorte d’art collaboratif, renforcé par le dernier opus à guests The Reverses (NDLR - présences : Jonas A Holmberg [This Gift Is A Curse], Alex Stjernfeldt [The Moth Gatherer], MkM [Antaeus, Aosoth] & Vindsval [Blut Aus Nord]). Penses-tu qu'une "dynamique de groupe" alimente encore, d'une certaine manière, les nouveaux développements, ou la liste des invités n'est-elle que le vernis d'un processus plus "contrôlé" que jamais ?
The Cuckoo : J'opterais pour la deuxième hypothèse. Je n'ai pas du tout laissé les autres membres de Terra Tenebrosa participer à l'enregistrement de cet album, c'est un travail que j'ai dû faire moi-même. L'album était déjà dans sa phase finale lorsque l'option des guests est arrivée dans le paysage ; mais bien sûr, chacun a contribué par un apport instrumental ou par le chant. Vindsval (NDLR : de Blut Aus Nord) était libre de faire ce qu'il voulait sur "Fire Dances" (NDLR : imposante clôture de l'album, dix-sept minutes) et son implication a fait une vraie différence pour ce titre.
Quel genre d’espace laisses-tu aux autres, lorsqu’ils sont autorisés à investir ton univers ?
Je suppose que tu veux dire les invités ? "Makoria" est un morceau pour lequel j'ai écrit la musique après qu'un de mes amis a lu dans le journal de ses rêves une rencontre avec quelque chose qu'il a compris comme étant comme le coucou. Sur "Where Shadows have Teeth", Alex a d'abord créé une ligne de basse complexe qui enlevait d'une manière ou d'une autre la monotonie qui, selon moi, est l'une de ses caractéristiques les plus fortes. Je l'ai donc forcé à la simplifier. MkM était libre de chanter comme il le préférait ; mais comme ma voix était déjà enregistrée il s'est retrouvé confiné à des parties ne permettant pas trop d'expérimentation. Sur "Exuvia", un ami est venu tracker la guitare qui, à la base, était un dub ; et ce, pour ajouter un peu de punch. C'était la seule partie de guitare à enregistrer et l'album était presque terminé mais je ne pouvais plus jouer de la guitare car je m'étais cassé le bras. Et enfin Vindsval (NDLR : il insiste) a fait des merveilles pour "Fire Dances".
Considères-tu ces invités comme ceux qui te tendraient un miroir ou vous montrent d’autres chemins pour Terra Tenebrosa ?
Non.
Y avait-il dans Breach un degré de contrôle que tu as personnellement recherché et que tu n'as trouvé qu'à travers Terra Tenebrosa ?
Non plus.
Comment analyses-tu les causes de la fin de Breach ?
Nous étions arrivés à un point où personne ne s’amusait, et nous n’étions même plus amis. Cela était en grande partie dû au fait que certains d’entre nous abusaient à la fois de l’alcool et d’autres substances.
Le titre The Reverses a-t-il quelque chose à voir avec la récurrence des présences extérieures ?
Non. Cela a à voir avec mon état émotionnel et tous les chemins sombres et souvent dangereux que j'ai empruntés depuis un an et demi. Je me déplace principalement derrière des décors et je suis éveillé lorsque les autres dorment, et vice versa.
En quoi la manière de travailler sur The Reverses a-t-elle différé des tentatives précédentes ?
J'ai enregistré l'album sans l'interférence de quiconque, sans me laisser distraire par les idées des autres ni devoir essayer ce qu'ils me proposent, juste pour les apaiser, même si tout le monde sait qu'au final j'ai raison. Pas de batailles d'ego. Le processus d’enregistrement de cet album a été beaucoup plus fluide et ciblé.
Le fait que les "présences extérieures" se multiplient crée une situation dans laquelle de plus en plus d'éléments sont à intégrer à la concoction. Est-ce que cela a quelque chose à voir avec l'idée d'un "puzzle" ou les guests ont-ils enregistré leurs parties seulement une fois que tu as terminé l'ensemble des structures musicales... ou du moins, leurs squelettes ?
Exactement. Le seul à ne pas avoir reçu de conseils était Vindsval.
Cet album représente-t-il pour toi une césure ou est-ce une simple évolution ?
Je vois cet album comme un album parmi d'autres, ou isolé des autres. Cela n'a pas la même nature que les efforts développés à travers les précédents formats longs (NDLR : The Tunnels en 2011, The Purging en 2013), c'est quelque chose qui a plus à voir avec la destructivité, et dans le seul but d'être destructeur. Il n'y a rien d'édifiant dans cet album. Je suis toujours coincé dans les royaumes entropiques qui ont donné naissance à cet album, alors j'espère que celui-ci ne deviendra pas le point de départ d'une succession d'albums qui veulent nuire au lieu de guérir.
Comment, aujourd'hui, ressens-tu les choses intérieurement ?
Comment je me sens ? J'ai été pire et j'ai été bien meilleur.
Il y a une recherche esthétique dans les visuels développés autour du projet, et la pochette du nouvel album réalisée par Jonas Holmberg ne fait pas exception, dans le reflet qu'elle donne de cette (ton !) étrange présence dans une nature enfouie. Que reflète cette image ?
Jonas avait entendu parler de cette maison abandonnée dans les bois. Il ne s'agissait apparemment pas un endroit très agréable et il pensait que la maison serait le symbole de l'état émotionnel dans lequel je me trouvais. Cette maison est de loin l'endroit le plus bizarre dans lequel je me sois retrouvé. Un lieu saturé d’énergie négative, à tel point que l'on pouvait à peine respirer. Bon choix pour la couverture de l'album.
Dans la scène black metal, il existe cette tendance à développer une manière anonyme de s'exposer : certains choisissent un surnom et ne révèlent jamais leur identité ni n'apparaissent sur scène. Tu vas plus loin dans le fait d'être représenté par une entité imaginaire appelée Le Coucou. Comment et quand est née cette entité et que montre-t-elle de ce que tu es ?
Je ne sais toujours pas. Tout ce que je sais, c'est que ce visage, ou ce masque, est apparu dans un rêve que j'ai toujours fait quand j'étais malade, à l'enfance. Plus tard dans ma vie, je l'ai croisé dans des visions, alors que j'ingérais des psychotropes.
Mais penses-tu, tout de même, avoir accédé à une connaissance plus profonde de toi-même à travers Le Coucou, ou ce personnage représente-t-il un mystère de soi à soi-même ?
Non, je pense en fait que le coucou m'a rendu encore plus confus. Le coucou a acquis sa propre vie hors de ma portée ; et parfois, lorsque je lis que d'autres personnes s'attaquent au coucou, je réalise abriter une entité qui est toujours hors de moi mais qui a pris tellement de traits de ces autres avec lesquels je ne suis peut-être pas d'accord, que je me sens presque... cocu.
La structure finale, "Fire Dances", est particulièrement impressionnante sous tous ses aspects. C’est une construction très contrastée et longue. Est-ce que cette chose a été plus difficile à formaliser que certaines autres présentes sur le disque ?
Au contraire. Étant la dernière chanson enregistrée pour l'album, j'étais si proche de la ligne d'arrivée et sachant aussi que Vindsval enregistrerait le chant pour cet album, c'était peut-être même la créature la plus facile à engendrer.
Quelle est l'histoire de cette création ?
Aucune qui puisse être contée.