C'est un vrai plaisir d'entendre le nouvel album de The Cemetary Girlz à l'heure où l'IA peut à son tour écrire des chroniques. Car la certitude est là : cet album lui serait trop étranger. Le trio parle à l'intellect et au sensible, et il convoque un contexte si fort et précieux qu'un algorithme peinerait à en saisir les subtilités.
Pour commencer, disons qu’Alien S Pagan, Divarre et Sioux Side savent que jouer un album batcave ou deathrock en 2023 ne peut suffire. Quand bien même la formation, seize ans plus tôt, faisait le bonheur des fans die-hard jurant par Deadchovski, Katzenjammer Kabarett, Eat Your Make Up, The Vanishing, Les Modules Etranges, Sleeping Children, Morthem Vlade Art (premières années) et Cinema Strange. Et même si l'ampleur de l'influence de Rozz Williams reste intacte (sur "Echoes of my Tears" et plus encore sur "Eternal Night"), pondre une série de titres hommage au leader de Shadow Project (davantage que de Christian Death sur ces compositions) sonnerait daté : ça, c'est le point de départ de leurs réflexions à mon avis.
Les comparses connaissent cette scène, l'ont fréquentée, parfois même façonnée à leur modeste niveau alors que tout semblait fini. Ils ont passé des disques en soirées, dansé, discuté, échangé. The Cemetary Girlz (quel que soit son line-up changeant) a partagé l'affiche avec Modern English, The Damned, et les festivals étiquetés goth leur ont fait bel accueil durant cette carrière faite de présences épisodiques.
Non : pour lancer un nouvel album, il faut se démarquer, se faire plaisir et tenter de faire fluctuer les attentes en ouvrant des horizons à un genre trop facilement décrit comme moribond. Revenir à des sons façons saxophone sur rythmiques tribales et voix graves, pourquoi pas, mais en y ajoutant une intention heavy et en reléguant la voix à l'arrière-plan : cette astuce sert "The last Kiss" en l'éloignant des standards de production et mixage. L'effet est intéressant car le morceau semble alors flotter, loin de lui-même, et cela gomme l'aspect héroïque qu'il aurait pu avoir ; c'est alors un sentiment d'étrangeté qui prend le relais.
Gageons qu'en répétition, ces trois-là savent sortir vingt titres calibrés. Comme pour le black metal, ils ont dû virer tout ça et se lancer le défi. C'est sans doute avec le final d'"Eternal Night" que les auditeurs spécialistes comprendront où ils ont voulu en venir et où moi, humain, je vous entraîne. La rythmique s'emballe, les voix se déchirent, la production se fait ouatée. Oui, on a bien ici des intentions qui rejoignent le "blackgaze". De même, pour l'éponyme "L'Envol du Corbeau" (plus de huit minutes !), les modulations de ce mur de guitare raniment encore un peu My Bloody Valentine mais avec une frappe de batterie imparable : quasi -minimaliste, sa mise en place au premier plan sur quelques passages donne une dynamique hantée à cette mélodie spectrale.
La beauté est palpable, comme avec cette batterie aux sons détaillés un par un : caisse claire plus lointaine, kick impeccable et proche, alors que la guitare claire égrène ses harmoniques. On l'entend, l'introduction de "Faded Roses" s'éloigne du rock gothique ou batcave pour approcher une mélancolie d'obédience metal. Mais ce n'est pas du metal, pas du hard rock ni du heavy (comme par exemple Joy/Disaster en joue lorsqu'il a Fields Of The Nephilim en mémoire) : c'est une intention, une chose évanescente, à peine discernable, un air de famille, dans le synthé, dans l'approche, dans la composition. Sauf que la voix échappe encore aux étiquettes et que la structure, alambiquée, complexe, évolutive, bifurque et ne s'embarrasse pas des codes ! Là encore, ça déménage petit à petit, et c'est cette fois à Wolves In The Throne Room qu'ils me font penser : l'urgence, la gravité, le céleste touché du doigt, la folie capturée. C'est ballot : un fan de black metal rigoriste n'y retrouvera pas sa douleur ; en revanche un fan de musiques au pluriel y sentira une belle offrande sincère.
La captation du son est précise, et jolie : la manière dont sonne l'agencement des instruments et des vocaux sur l'introductif "The Wanderer" éloigne l'écueil de la formation "rock" traditionnelle. La superposition et le son ont été conçus, réfléchis pour ne pas sonner identique. C'est de l'audace, de la détermination. Un corbeau qui s'envole ? L'image est révélatrice.