The Cult est un caméléon. Ian Astbury (chant) et Billy Duffy (guitare), depuis ce moment où se fixe leur partenariat à travers Death Cult, ont fini par former une paire indissociable aux yeux de l’auditoire. Ils n’ont jamais fait deux fois le même disque, survivant à toutes les époques depuis le début des années 1980, surpassant aussi leurs éventuelles différences artistiques. Aujourd’hui, Astbury parle de The Cult comme d’une "collaboration".
Depuis Electric en 1987, à savoir leur virage vers un rock plus dur produit par Rick Rubin (suite à la remise en cause des premiers enregistrements très enrobés du successeur de Love), The Cult n’a pas renoué frontalement avec les résonances tribales et afterpunk de ses premiers essais. Histoire écrite. Ian Astbury était passé par le punk en revenant du Canada à ses seize ans, il avait suivi Crass et connu une première vraie expérience de groupe en intégrant Violation, devenu Southern Death Cult. Une tournée avec peu de titres, à l’occasion de laquelle ils croisent le chemin de Theatre Of Hate et de… Billy Duffy, ce type dont aujourd’hui Ian se rappelle comme de quelqu’un de "clairvoyant" et "effronté". Ce sera ensuite Death Cult et le reste, de l’histoire. Mais le public qui connaît The Cult pour son épais binaire n’a pas toujours conscience de ce qu’ont traversé et digéré en termes d’influences les deux compères avant de se projeter vers des terrains d’expression plus classiques dans le rock. Cela étant, les guitares de Billy Duffy, devenues plus démonstratives du temps de la période hard frontal (Sonic Temple [1989] / Ceremony [1991]) ont toujours conservé une élégance à part. Leur inventivité déborde ce classicisme rock, et elles aiment expérimenter (cf. le disque homonyme de 1994). Couplées à la voix sans pareil d’Astbury, elles fixent une chimie. La marque du combo. Preuve en est faite une nouvelle fois avec cet onzième chapitre studio.
Under The Midnight Sun et son rock tempéré, dont les premières démos sont nées sur 2019-2020, donne suite à un Hidden City mitigé (2016). La paire Astbury/Duffy laisse moins libre court à ses pulsions hard rock sur ses derniers enregistrements, et Under The Midnight Sun – quoique enregistré dans des conditions particulières – s’avère, dans le prolongement de cette atténuation des duretés, un authentique exercice de stylisation. Une partie des sessions s’est réalisée en distanciel pour Astbury, resté sur le territoire américain tandis que l’équipe de production et certains musiciens se trouvaient au Royaume-Uni (dont le bassiste Charlie Jones, collaborateur de Siouxsie et Goldfrapp, et le batteur de Kasabian Ian Matthews). Au gré d’une production confiée pour la première fois à Tom Dalgety (qui s’occupe à ce moment-là, en parallèle, du nouveau Pixies), cet opus XI renoue avec ce vœu de ne pas se répéter tout en conservant précieusement une identité.
The Cult se projette ici d’une manière plus orchestrale ("Outer Heaven") ; ailleurs inscrit le son dans un discret machinisme. Astbury éprouve de l’intérêt pour lui depuis fort longtemps, Ian qui dès le milieu des années 1980 s’est senti happé par l’innovation et l’urbanité de certains sons hip hop (Beastie Boys, émois émois émois). Et si Under The Midnight Sun s’avère l’un travaux des plus courts de tout le fond de catalogue du Cult, il impose sur sa longueur une qualité d’atmosphère et d’écriture, un exotisme et une inspiration rythmique (Astbury écoute Afrique Victime de Mdou Moctar), mais aussi un reflet psychédélique (Brian Jones, figure du panthéon personnel du chanteur). Du punk, vous gardez visiblement un sens de l’aventure… C’est un Cult inspiré, et physiquement en forme. Astbury lui-même a retrouvé une voix, comme semble-t-il un physique. Nous n’avons pas pu ne pas constater le regain de forme du chanteur : ce visage émacié, un corps resculpté.
Under The Midnight Sun, dont le titre a trait au souvenir de ce jour qui ne tombe pas au Provinssirock en 1986, est un disque texturé. Billy Duffy n’y est pas bavard, c’est le contraire : ses guitares sont économes et concentrées sur un travail en motifs. Quelques solos font bien l’affaire (inévitable notamment sur la ballade acérée "Give me Mercy", dont le titre de travail était... "Mercy"), et The Cult couche aussi parmi ses mélodies les plus fortes depuis Choice Of Weapon (2012) voire Beyond Good & Evil (2001). "Vendetta X", qui fait partie des titres créés sur 2019-2020, est certainement l’un des morceaux les plus forts de l’ensemble, avec ce que nous considérons, nous, comme un nouveau classique : l’enveloppant et héroïque "Impermanence".
En 2022, le son de ce groupe, ragaillardi par l’arrivée de sang-neuf en studio, donne bien plus qu’en 2016 le sentiment d’une sculpture exigeante. Le résultat obtenu par Dalgety, rond en production, offre une apparence limpide, dont les forces sont sa chaleur pulsée et une intention concentrée. Celle-ci a sans doute pris racine dans un "attachement aux biens du monde" réinvesti par Astbury à l’heure où la pandémie a formé une nouvelle menace sur le lien social et le vivre ensemble.