Au début de leur carrière, les Écossais The Jesus & Mary Chain tournent le dos au public, ne jouent pas une heure. Concerts éclairs, bruit blanc. Et puis la pendule tourne. Au fur et à mesure les frères Jim et William Reid sont consumés par ce qu’ils font. Une relation dégradée, jusqu’au paroxysme, l’exécrable – et après le discuté Munki (1998), la clef est rangée sous la porte. Le bruit blanc, lui, est resté dans l’air parce qu’il nous restait les disques : Barbed Wire Kisses, le séminal Psychocandy, l’aération pop souveraine de Darklands et puis toute la suite : plus aléatoire en qualité, moins surprenante.
Damage & Joy, en 2017, a remis le couvert et les retrouvailles avec la scène confinant à une célébration (le groupe s’est totalement régénéré), les Ecossais redonnent à leur son une actualité.
Sur Glasgow Eyes, Ils ne se départissent pas vraiment de ce qui fait leur marque : un flegme demeure qui imprègne ces rythmiques et guitares comme des buvards. Ça traîne sa couenne, tranquille. Problème : le cru nouveau ne nous avait pas vraiment été vendu de cette manière. Nous n’attendions certes pas le grand bruit mais une mutation plus... radicale, une tangente esthétique. De la surprise, donc, plus, et de la substance machiniste. L’expérience faite, ce disque s'avère à rebours celui que l’on attendait sans l’attendre vraiment, et que l’on n’attend plus : nous partions du principe que nous les aimions comme ils étaient, et qu’il leur restait moins à dire que ce qu’ils ont déjà su exprimer. Le premier single, "jamcod", dans son bruit post-suicidesque, nous voyait renouer avec le prédictible en même temps qu’on les sentait, tout de même, dans une inspiration. En 2024, TJ&MC entretient ce jardinet fun, cette envie de nous faire danser en mode zombie. C’est perceptible sur le single comme sur son successeur dans l'ordre des choses, "Discotheque". Mais ce bruit libérateur qui résonne dans notre tête ne jaillit jamais de la bande, en tout cas jamais frontalement. Frustration.
Le cru 2024, à défaut de surprise majeure, garde cette petite part d’étincelle : dans sa production, ses moments archétypaux ("Girl 71"), ces boucles qui vous aimantent ("Mediterranean X Film", "The Eagles & The Beatles", "Chemical Animal"), ces masses lentes ("Pure Door"). Mais il souffre du manque de radicalité de ses choix. Les frères délivrent les préparations, OK mais l’éclat n’est pas le même partout, voire n’est pas vraiment... au risque de réveiller la nostalgie, qui n'avait pas besoin qu'on la prie : les mélodies de la première période de création ressurgissent fatalement en mémoire, la nostalgie a des effets pervers et la répétition des écoutes ne nous fera pas nous extraire de ses marécages. Glasgow Eyes : un disque pas forcément désagréable, simplement un peu pépère. Un peu trop. La neurasthénie est dans l’ADN de cette musique, et un processus soi-disant réinventé ne fait pas forcément une collection de grandes chansons. Heureusement, les concerts peuvent encore être incendiaires.
