Découvrir un nouvel album de The Jesus Lizard, le groupe aux titres en quatre lettres ! Toute une époque et un mouvement ressurgissent, malgré la mort de Steve Albini qui en fut l'un des apôtres et qui épaula The Jesus Lizard dès ses prémisses (il joua d'ailleurs avec David Sims au lancement de Rapeman, avant la formation de TJL). C'est en 1998 qu'est sorti Blue, dernier format original du groupe (et disque plutôt moyen dans leur discographie). La satisfaction est aussi de retrouver les mêmes quatre hommes aujourd'hui : David Yow, le guitariste Duane Denison, David Sims à la basse et Mac McNeilly à la batterie, toujours aussi sec et astucieux.
La distance temporelle permet de casser des codes, des attitudes ; là où je séparais l'indépendance énorme de Touch And Go (premier label du groupe avant la signature chez Capitol Records) par une opposition injuste avec Sub Pop, là où je faisais primer une pseudo ancienneté de quelques mois entre le groupe de David Yow (d'abord passé par Scratch Acid avec David Sims) et celui de Kurt Cobain, je me retrouve bien peu malin à constater comme finalement le son de "Hide & seek" est proche de celui développé et popularisé par le trio de Seattle.
On est clairement dans un banquet de famille...
Pourtant, la singularité de The Jesus Lizard se fait jour rapidement. Il y a cette capacité de David à chevroter un faux blues de crooner, marqué par l'envie plus que par la technicité ("Armistice Day") quelque part entre un Nick Cave du Birthday Party camisolé et un Jeffrey Lee Pierce en cellule de dégrisement. Comme un effet de renoncement, de désespérance, pour livrer un chant du cygne bien noir, conscient de ses faiblesses et courageux malgré ça ! Et il y a ces riffs astucieux ("Grind") qu'on guette à chaque titre.
The Jesus Lizard, ce n'est qu'après sa sainte époque (1994-1998) que je trouvai un équivalent dans le final libérateur et dément du film autant grandiose que passé sous les radars, Julien Donkey-Boy (1999, pourtant signé Harmony Korine) ; lire les compte-rendus de concert, tout en m'injectant leurs disques (que je dénichais alors chez le disquaire Sonic Machine à Paris, tenu par le respectable Paul Milhaud), précipitait la reconnaissance et ma foi en une scène noise-rock aventureuse, singulière et inattendue.
Quand bien même les années ont passé, on retrouve les choses là où elles avaient été laissées : "Alexis feel sick" est un nouveau classique, avec cette voix traitée en arrière, étouffée, saturée (et pourtant avec des effets de spatialisation et de transferts droite-gauche). Certes "What if" est délicat, la voix parle et raconte (les paroles sont écrites pour une fois par Duane Denison), la basse martelée, en rythme avec la caisse claire, n'assomme pas, et le son est professionnel, rond, précis, presque comme sonnait Prohibition de Nicolas Laureau et Quentin Rollet. C'est... beau. Et je ne me serais pas douté qu'un jour j'utiliserais cet adjectif pour un titre de The Jesus Lizard. Paul Allen à la production respecte le son d'origine tout en lui donnant un bel éclat (le démarrage brillant de "Moto(R)"). Duane Denison nous avait habitués à ses solos et sur "Is that your Hand ?", celui-ci sonne avec un chatoiement étourdissant. De là vient cette force de composition, bien plus complexe que le couplet clair / refrain hurlé devenu traditionnel dans le monde du grunge : un titre de The Jesus Lizard part dans cinq ou six plans parfaitement enchaînés.
Il suffit ensuite de balancer "Lord Godiva", avec sa basse bondissante, quasi jazzy ou progressive et ses syncopes rythmiques, le chant soudain heavy puis trituré de Yow pour revenir à cette morgue et cette évidence qui me marquèrent. The Jesus Lizard tient dans ces riffs presque trop parfaits qui déboulent et, cerise sur le gâteau, l'intro de "Sawn the Dog" (répétée plus loin dans la composition) offre un moment suspendu, élégant, comme ça en passant, soignant un dernier titre coup de boutoir foldingue.
The Jesus Lizard sont de retour, livrent un album sans faux pas et complètent par surprise une discographie aux nombreux titres incontournables.