Tout concourt dans ce film à vouloir vous rendre cinglés : une corne de brume geint incessamment presque tout le long du film comme un leitmotiv soulignant la vie répétitive, solitaire et morne de ces deux forçats de la lumière, uniques personnages ou presque de The Lighthouse. Tout comme Willem Dafoe et Robert Pattinson, le spectateur est plongé dans l’extrême noirceur et morne solitude de la vie de deux gardiens de phare de la Nouvelle Angleterre fin XIXe siècle, une expérience qui mène petit à petit vers la folie. The Lighthouse est un cauchemar éveillé dont il est impossible de sortir indemne. Le tout tient autant du surréalisme que de l’expressionnisme, mais le metteur en scène de The Witch (meilleur film de 2015, selon moi !) utilise aussi plusieurs éléments typiques des films d’horreur ou fantastiques. Et on pense alors au meilleur du genre de Bunuel à Shining de Kubrick, en passant par Lovecraft pour la littérature ! Mais le choix du noir et blanc pour la superbe photographie du film rappelle surtout Guy Maddin pour le cinéma, ou encore la formidable BD Tout Seul de Christophe Chabouté narrant la solitude d’un homme dans un phare, vivant à l'écart du monde. Certains plans semblent d’ailleurs presque volés à ce chef-d’oeuvre de la BD. C'en est troublant.
Les visages des deux "héros" fatigués par la dualité de la vie et les affres du temps sont en tout cas magnifiés grâce au clair-obscur accentuant la grisaille, les stigmates et cette lutte farouche entre la lumière absolument vitale et l’obscurité dévorante du rocher sur lequel survivent les deux personnages principaux. Il faut du reste saluer les performances de Willem Dafoe et Robert Pattinson, tout deux absolument impressionnants dans leur rôle : tour à tour comiques, pathétiques et terrifiants. Le choix du 4/3, pouvant surprendre au début, permet d’insister sur la verticalité impressionnante du phare et aide également à créer cette funeste impression de claustrophobie. Les seuls plaisirs des personnages sont de tristes branlettes, des pets salvateurs ou des soirées de beuverie. Mais la vie sur l'île, faite de travaux d’Hercule, d’angoisses terribles et d’hallucinations fantastiques nourries par l’alcool et les éléments, semble pire que le bagne. Tel un véritable Prométhée, le personnage joué par Robert Pattinson se retrouve martyrisé autant par les mouettes que par son collègue en chef interprété par un Willem Dafoe, métamorphosé en vieux loup de mer jupitérien, qui le rhum aidant, se transforme en Poséidon possédé. Willem, alias Tom Wake, dans le film s’autoproclame dans The Lighthouse comme garant de la lumière, mais une lumière bizarrement et finalement peu rassurante pour le pauvre Pattinson prométhéen. Robert Eggers (avec l’aide se son frère Max au scénario) a réalisé une œuvre très différente de The Witch, mais tout aussi marquante, fascinante et sans doute encore plus symbolique et empreinte de mythologie.