Drôle de parcours que celui de The March Violets : formation à Leeds en 1981, chapeautage dans les années 1980 par Andrew Eldritch (The Sisters Of Mercy, autres fondus des boîtes à rythmes), estime et reconnaissance. C’est celle des débuts, période à laquelle ils ne sortent que des formats spéciaux (singles, EPs), celle à laquelle le mot "gothique" ne s’applique pas encore frontalement à la "scène", dont Rosie se souvient comme d’un "vif mélange de punk, de glamour, de romance, de mort et d'obscurité".
Les premiers "vrais albums" – pas des compilations de singles ou de travaux studio épars – à savoir les autoproduits Made Glorious (2013, réalisé en mode distanciel et piloté artistiquement par l’ancien membre historique Simon Denbigh) et Mortality (2015) ne débarquent que dans les années 2010. Ils sortent en autoproduction, alors que toute cette histoire, vous appelez ça "l’âge d’or" si vous voulez, est derrière ; et après que Garland a dépassé des problèmes de santé. Tout est redevenu possible, surtout et aussi parce qu’ils l'ont voulu. Le dernier "rappel historique", récent, s’est produit avec le coffret anthologique The Palace Of Infinite Darkness (chez Jungle Records, qui n’en était pas à son premier archivage avec les Violets).
Aujourd’hui, Crocodile Promises est le premier format album de March Violets à sortir directement sur une maison de disques, et c’est un line-up reconfiguré depuis 2015 qui s’y affiche : les fondateurs Rosie Garland (chant) et Tom Ashton (guitare et instrumentations) ont travaillé au nouveau cru en compagnie de William Faith (Faith & The Muse, The Bellwether Syndicate, ex-Christian Death). Faith a assuré un temps les renforts à la basse pour le live puis en studio, à la suite du départ Joanna Moy, mais a quitté le groupe après les séances studio de Crocodile Promises, afin de se consacrer à temps plein à son propre projet, The Bellwether Syndicate (remplacement de Faith aujourd’hui assuré par Mat Thorpe, présent dans les Violets en 2007). Simon Denbigh, lui, n’est pas revenu frontalement au service du groupe depuis des années, après la survenance d’un AVC au milieu des années 2010.
The March Violets n’existent jamais aussi fort que dans les périodes difficiles pour le Royaume-Uni, et le post-Brexit en est une. Crocodile Promises s’avère une collection bien tenue : il y a une marque de fabrique (la version originelle du morceau "Virgin Sheep" a été couchée en 1982), la boîte à rythmes (évidemment) est active, et les énergies déployées sont aléatoires : le disque n'est pas linéaire mais a une cohérence, et la stylisation opère. Les guitares de Tom Ashton, énergiques, expressives et distinguées, tricotent des atmosphères hypnotiques et hantées par la voix de Garland ("Kraken awakes"). Ailleurs, l’élan d’un rock gothique à l’ancienne nourrit des chansons dont l’énergie frondeuse vous emporte ("Heading for the Fire", "Mortality").
Les écritures sont ramassées, les formats courts (le single "Hammer the last Nail" a donné le ton), les climats serpentins ("World away from Kind"). Le groupe, manifestement, a pris le parti de rechercher une efficacité. Pari tenu : Garland, Ashton et Faith prolongent en studio l’histoire d’une belle manière, sans trahir l’héritage mais en donnant une nouvelle chair à la marque. Les voix de Rosie, maîtrisées, font aussi le succès de la collection : elles ont cette saveur sensuelle et singulière, celle qui fait remonter les souvenirs ; et un venin se dilue dans leur rondeur.
C’est une collection de chansons solides et dont la seconde moitié, particulièrement réussie, marque l’écoute. Un son à l’ancienne mais en évolution, et auquel la patine de la production donne une fraîcheur certaine. En 2024, The March Violets marchent encore vers le soleil.