Paris, quai François Mauriac. Petit Bain : une péniche amarrée en bords de Seine, lieu de spectacles. Les afficionados l’aiment. Programmation éclectique, jauge petite. 450 personnes selon les données communiquées au public.
L’espace restauration qui surplombe la salle de concert est saturé de monde à l’approche des vingt heures trente ce 3 mars 2020. À partir du moment où résonnent en sous-sol les premières notes de Salvation, le lieu se vide progressivement. Quelques irréductibles de la planche de charcuterie refusent bien de déserter, mais le gros de la faune a transité vers le chaudron, lui-même trop petit pour ne pas échapper aux mesures préventives relatives à l’épidémie de Covid-19 : l’Etat français interdit depuis peu la tenue de tout rassemblement de plus de cinq mille personnes en milieu fermé. Stade 2 de l’épidémie, et probable survenance de mesures de stade 3 dans un futur proche. À l’heure où s’écrivent ces lignes, nous n’y sommes pas encore.
Les marches qui, une fois passé le contrôle descendent vers l’antre, débouchent sur un espace live exigu et intime. Ni le premier ni le second des concerts parisiens 2020 de Mission ne sont joués tout à fait sold out ; mais une impression de plein domine lorsque vous vous vous retournez vers le public depuis le front de scène. Faune bigarrée, et d’un âge certain. Contrairement aux concerts des années 1980, et quoique les t-shirts et codes vestimentaires puissent trahir de l’identité culturelle d’un public, l’affichage est moins démonstratif. Les gens de moins de trente ans se comptent, certains sont d’ailleurs venus avec leurs parents. C’est un fait, pas propre d’ailleurs au public de Hussey & co. : les adeptes ont vieilli avec ce groupe fondé à Leeds en 1986. Une histoire maintes fois rabâchée : après s’être un court moment nommé The Sisterhood et avoir entraîné dans son sillage ceux des adeptes de la mouture mid-80’s des Sisters Of Mercy qui n’avaient pas envie de choisir entre deux leaders charismatiques, The Mission a sorti trois albums cultes. Puis Wayne a pris la main, dirigeant un collectif à géométrie plus ou moins variable à partir de 1991, publiant des albums jusqu’à 2016 et son remarqué Another Fall From Grace.
Pour son United European Tour 2020, le groupe anglais diffuse avant chaque show le mix alternatif de "Tyranny of Secrets" réalisé par Harmath Szabolcs suite à un concours lancé par le web. C’est une version au ralenti et à teneur fortement digitale. Réussie, elle donne primeur au climat et sortira en digital chez SPV.
Et puis sur cette tournée, il y a une démarche, un choix artistique qui tient aussi de la gestion : le groupe donne régulièrement des séries de deux concerts successifs dans le même lieu. Il se pose davantage dans les villes, dort à l’hôtel et construit sa setlist alternativement sur les albums studio aux numéros pairs et impairs. C’est en fonction du soir, et annoncé comme tel : vous ne verrez jamais deux fois le même concert. Malin.
SOIR I – MARDI 03/03/2020
CÔTE-À-CÔTE N’EST PAS FIRMAMENT
Le Mission 2020, sur scène, est le même depuis 2011 : il comprend trois des quatre piliers historiques ayant fait l’histoire des origines (1986-1990). Le batteur Mike Kelly, actif depuis presque dix ans, a pour sa part insufflé un physique rigoureux et imposant à la rythmique : un fond de temps plus respecté qu’à l’époque d’un Steve Spring (2003-2008). Cette percussion, quelques qualités techniques en plus de celles du marquant Mick Brown, fait resurgir l’esprit des origines. Et c’est toujours vrai cette année.
L’histoire de ces deux concerts parisiens commence par une impression mitigée.
Certes, il peut être parfois ressenti – pardon à lui pour cette saillie liminaire – que le public parisien est plus difficile à enthousiasmer que la moyenne. Il n’extériorise pas toujours autant qu’on l’espérerait face à l’état de l’art, ce dont témoignera un (aimable) post de Simon Hinkler sur le FB de Mission après le premier show. À la décharge de ce public et parfois, l’état de ce qui lui est présenté y est pour quelque chose. C’est peut-être, un peu, ce qui arrive ce mardi soir.
Quoique certains éléments du public provoquent à l’avant-centre de la fosse quelques mini-pogos (susceptibles de ne déranger que ceux qui pensent qu’un concert de rock doit être un moment paisible), le constat de la retenue de la foule s’impose. Un auditoire qui assiste à un spectacle ambivalent et donne le sentiment de s’amuser un peu moins que le groupe - et tout simplement, un peu moins que ce qu’il espérait.
Si la qualité de son est correcte, la batterie s’impose trop au mix et les guitares – en tout cas là où sont positionnés les gens d’Obsküre, c’est-à-dire à proximité du front de scène, légèrement à gauche – restent un peu... enfouies. Impossible, là où nous nous situons, de retrouver complètement la typologie sonore si familière, alors que le groupe a pu communiquer a posteriori et en toute bonne foi sur la qualité de son qu’il a eue sur scène à Paris. Quoi qu’il en soit, le sensible étouffement des guitares nuit à leur lisibilité, influant sur le ressenti et donnant une certaine timidité aux introductifs "Wasteland" et "Bridges Burning". La mèche n’est qu’à moitié allumée. Exultation des retrouvailles, où es-tu ? Joie de retrouver les musiciens, bien sûr, mais un brin gâchée par cette splendeur qui n’y est pas tout à fait. Le métier, assurément là, ne peut pas tout faire. The Mission débute qui plus est son set en donnant une impression de nerf relatif. Le jeu ne manque certes pas de sérieux, mais le groupe s’avère approximatif dans certains enchaînements.
Et cette impression mitigée persiste au fur et à mesure de l’écoulement du show. La setlist, au fond, a un petit quelque chose de mal foutu. Non pas que l’on regrette l’incursion de quelque étrangeté ou rareté, bien au contraire ("Shades of Green", "That Tears shall drown the Wind"). Wayne a d’ailleurs éduqué son public en ce sens après 1991, quitte à perdre du monde en route. Mais ceux qui sont restés, savent : la surprise fait le sel de la vie. C’est donc moins pour ses petites extravagances, que pour son déploiement dynamique (l’histoire contée cahote parfois, alors que nous voudrions être emportés) que le set nous laisse un peu sur notre faim. Le groupe, d’ailleurs, est lui-même victime. Alors qu’il veut ostensiblement faire plaisir et partager, le voilà qui essuie un incident technique : la reprise du "Marian" écrit pour The Sisters Of Mercy, accueillie avec un semblant de ferveur, est perturbée par un problème d’ampli basse. Le groupe doit s’interrompre. Hinkler et Hussey assurent l’alternative et reprennent en mode guitares/chant, tandis que la technique fait son œuvre pour permettre à Craig de revenir au bal. Mais le fil d’énergie que promettait l’introduction du morceau culte de First & Last & Always n’est pas tout à fait ressaisi par le quatuor, lequel se replie sur un métier décidément salvateur.
Cela étant et même si l’enthousiasme n’est pas complètement au rendez-vous, il reste de ce premier soir, à terme, quelques moments savoureux ("Deliverance") voire splendides ("Belief", premier rappel), et d’autres plus rares ("Grotesque"). Ils feront que personne ne repartira bredouille, mais voilà. Dans la conscience faite nôtre que chaque concert parisien peut désormais être le dernier, au sortir de la salle s’est insidieusement glissée la ritournelle de toutes ces histoires d’amour qui finissent mal (en général). Déplaisante sur l'action, lointaine mais qui menace, elle est là qui flotte dans le soupirail des émotions. C'est la ritournelle de la petite peine, la crainte qui suit les actes manqués. Regret des frôlements mal transformés, de ces unions espérées qui décatissent en chair tiède. Le soir de demain en sera, espérons-le, un tout autre.
SETLIST 03/04/2020
Wasteland / Bridges burning / Tyranny of Secrets / Grotesque / Shades of Green / That Tears shall drown the Wind / Fearful / Severina / Butterfly on a Wheel / Met-Amor-Phosis / Like a Child Again / Deliverance
Rappel 1 : Belief / Marian (The Sisters of Mercy cover)
Rappel 2 : Tower of Strength
SOIR II – MERCREDI 04/03/2020
THE DIVINE
Mercredi soir. Même lieu, même heure.
Certaines habitudes ne changent pas : la présence sur scène des bouteilles de vin rouge ne surprend guère mais, au regard de l’expérience du mardi, s’avère indicateur moyennement rassurant.
D’entrée de jeu, pourtant, de notables différences rassérènent. Le son d’ensemble est plus équilibré, les guitares mieux définies et bien plus présentes dans le spectre. L’énergie, aussi, semble autre : incisif, le groupe célèbre sa création avec authenticité et la setlist, dans sa teneur générale, sert tous ceux qui aspirent à retrouver un Mission épique.
Le groupe démarre par un splendide "Beyond the Pale", inévitable et dont le rendu en fond de temps rend pleinement justice à l’original. Et si elle prend un peu moins de risques, l’histoire que conte le set, cette fois, captive. Le moteur donne enfin le sentiment de tourner à plein régime, et la joie des retrouvailles est pour ce soir. Cela dit, le groupe maintient – et heureusement – l’effet de surprise ("Bird of Passage", issu des inédits de Grains Of Sand / "Slave to lust" et "In Denial", issus d’AurA, tout comme le plus prévisible single de l’époque, "Evangeline").
Et c’est un fait : un équilibre plaisant se recrée progressivement entre passé glorieux et étincelles des temps plus récents ("Swansong"). C’est aussi et notamment par la présence de plusieurs titres phares de The First Chapter que Mission flatte le plus la fibre nostalgique. Le groupe, musicalement, opère avec brio et insuffle splendeur aux vieilleries, là où il donnait le sentiment de n’y aller qu’à moitié le mardi soir. Les guitares sont là et le quatuor emporte littéralement son monde avec "Naked and savage", "Wake" et un "Crystal Ocean" laissant vive trace. L’électronique jaillit de nouveau dans les rythmiques, donnant parfois à Mike Kelly le soin d’ornementer par l’apport organique ("Wake"). C’est précis, chirurgical. Le groupe est meilleur mais paradoxalement, les quelques pogos du mardi n’ont pas lieu ce mercredi. Sans doute le public était-il plus dans la musique. Sans doute le méritait-elle.
Alors si une critique ou un regret devait être formulée à l’issue de ce second concert, elle tiendrait seulement à un choix : la redite de deux morceaux sur les deux soirs, à savoir "Like a Child again" et "Tower of Strength", dans un contexte où le groupe a répété plusieurs dizaines de titres pour alimenter alternativement les soixante dates programmées pour la tournée. Le reste, concernant cette deuxième nuit parisienne, tient presque du parfait. Merci pour la résurgence de cristaux plus acoustiques notamment, pigmentant le set à des moments clefs. Merci pour cette splendeur retrouvée dans laquelle se conclut la série parisienne, avec au surplus, et en filigrane des deux shows, l’impression depuis la fosse d’une qualité d’entente forte entre les musiciens : à moult reprises, Hussey, Hinkler, Adams et Kelly s’interpellent et rient. Un piano se casse presque la gueule, peut-être se gaussait-il ? La plaisanterie, ciment d’un groupe authentique – et des retrouvailles pour tous, finalement.
Des retrouvailles auxquelles n’assisteront malheureusement pas – sauf possibilité d’un report – certains Italiens cette année. Le jour qui suit le second show parisien, The Mission annonce l’annulation du concert de Milan. Le gouvernement vient de prendre de nouvelles mesures interdisant certains rassemblements publics, et ce jusqu’au 3 avril minimum.
Covid-19, la menace. Pour l’heure, le reste de l’Europe attend encore The Mission, mais Paris a eu sa chance.
SETLIST 04/04/2020
Beyond the Pale / Serpent's Kiss / Garden of Delight / (Slave to) Lust / Evangeline / Bird of Passage / In Denial / Naked and savage / Afterglow / Like a Hurricane (Neil Young cover) / Swoon / Swan Song
Rappel : Wake (RSV) / Like a Child again / The Crystal Ocean
Rappel 2 : Tower of Strength