Actuellement dans une longue tournée en Europe, qui se terminera le 13 avril prochain au Molotov de Marseille, The Serfs sont le fer de lance d'une nouvelle scène coldwave en provenance de Cincinnati (Ohio). Les musiciens sévissent eux-mêmes dans d'autres projets comme Crime Of Passing ou The Drin. Leur premier album, Songs Of Serfdom (2019), s'était fait remarquer par un son à mi chemin entre les débuts de Factory Records (Joy Division, Section 25, A Certain Ratio) et la synthwave de la scène do it yourself de l'époque. Primal Matter (2021) n'a fait que confirmer les attentes avec son mélange d'amerturme post-punk et de beats dansants, assurés soit par des boîtes à rythmes vintage soit par les percussions martelantes et speedées du chanteur Dylan McCarthey jusqu'à un final plus sombre et post-industriel. Impliquant Andie Luman au synthétiseur et Dakota Carlyle à la basse, le trio nous a offert un show survolté lors de sa date au Ravelin de Toulouse, organisée par La Troisième Loutre. Riche et sauvage, le set nous a tellement séduits que nous avons improvisé une petite rencontre avec le groupe en backstage. Les musiciens finissaient leur repas, juste avant de reprendre la route le lendemain pour le Sonic de Lyon.
Obsküre : Vous entamez une longue tournée européenne…
Andie : Oui, six semaines, c'est la tournée la plus longue qu'on ait jamais faite.
Dylan : Je pense que c'est la tournée la plus longue que quiconque ait jamais faite.
Vous venez de Cincinnati. Vous faites partie d'une scène particulière là-bas ?
Andie : C'est une scène chouette car nous avons plusieurs écoles d'art à Cincinnati et beaucoup de gens viennent d'ailleurs pour leurs études. Cela nourrit ce qui se passe à mon avis. Il y a beaucoup de photographes, des artistes qui ont de grands ateliers où les groupes peuvent jouer, et bien sûr beaucoup de musiciens. C'est un endroit chouette, où les artistes font partie du décor.
Dakota : Nous avons tous joué dans des groupes avant, mais c'est une petite scène. Parfois on joue dans trois ou cinq groupes à la fois, selon les nécessités. C'est un peu incestueux. Il se passe plein de choses qui n'ont rien à voir avec nous, aussi. Et plein de choses do it yourself, comme partout.
La culture des concerts privés est très active aux Etats-Unis…
Dakota : Nous vivons dans un entrepôt où il y a des concerts de temps en temps. Mais tout ce qui est do it yourself, cela tient quelques mois ou un an, puis c'est remplacé par autre chose de nouveau. Mais il y a suffisamment de lieux de concert et de bars dans la ville pour soutenir la scène.
Je voulais revenir sur Songs Of Serfdom, votre premier album. C'était il y a un peu plus de trois ans et je me souviens, après avoir écouté le titre "Beauty Contest", que dans mon esprit c'était la réédition d'un enregistrement d'un groupe obscur du début des années 1980, sûrement issu de la scène cassette néerlandaise ou quelque chose du genre. Pourriez-vous revenir sur la façon dont vous avez enregistré cet album qui sonne très analogique, très brut ? Vous n'étiez en plus même pas né au début des années 1980…
Dylan : Quelqu'un dans la salle ce soir a dit qu'il était surpris que nous n'ayons pas au moins quarante-cinq ans.
Dakota : Nous l’avons vraiment enregistré avec un matériel bon marché. Nous n'avions rien d'autre. Les boîtes à rythmes et les synthés viennent vraiment du début des années 1980 et c'est quasiment tout analogique.
Dylan : Je ne dirais pas que c'était intentionnel mais c'était vraiment une musique de fan. Nous écoutions cette musique et on ne possédait rien d'autre pour la faire sonner mieux. Tout était analogique.
Andie : Et en plus c'était presque tout enregistré dans un coin du grenier dans la maison de Dylan.
Dylan : Nous avons utilisé un petit quatre-pistes, vraiment standard ce matériel... et ça a été enregistré comme beaucoup de ces musiques étaient enregistrées au début des années 1980. Nous travaillions aussi dans un bar à faire frire des ailes de poulet toute la journée, ce qui nous désespérait. Et nous jouions avec des boîtes à rythmes pour supporter cette situation.
Oui, la musique est dansante mais assez désespérée aussi.
Dylan : Nous étions tous désespérés, mais ce n'était pas une décision consciente. C'est juste un moyen pour arriver à une fin. Nous n'avions que la musique à quoi nous raccrocher.
Et cette qualité sonore lo-fi très particulière, on la retrouve aussi sur le second album Primal Matter où on entend le souffle sur le morceau "Outsider" comme s'il provenait d'une vieille cassette…
Dylan : C'est un morceau dont l'enregistrement est basé sur une vieille enceinte portable pour karaoké. J'ai branché ma boîte à rythmes dedans et je l'ai enregistrée. Je sais que ça sonne pourri. C'est une petite stéréo pour chanter en karaoké dans ta chambre devant le miroir.
Dakota : Les cassettes sont toujours là car nous avons un équipement d'enregistrement très basique. En particulier quand c'est fait digitalement, ça sonne mieux quand les sons proviennent de cassettes. Et j'aime ce bruit blanc, ce souffle. Tout ce qui n'est pas là est comblé par ce bruit blanc. Et les deux albums sont sortis sur cassettes.
Dans les instruments que vous privilégiez, il y a la basse, avec un aspect très répétitif à la Section 25.
Andie & Dylan : Oui, nous adorons ce groupe.
Deux notes de basse mais bien choisies…
Dylan : Une de mes citations préférées vient de Spacemen 3. "Trois notes, bien. Deux notes, super. 1 note, parfait." C'est pas une citation exacte, mais ça revient à ça.
Dakota : Nous aimons la répétition, l'hypnose.
Dylan : En général je trouve toujours que la troisième partie des morceaux est la pire. Deux notes, ça suffit pour moi. Je n'aime pas non plus quand un refrain revient et que ce n'est pas nécessaire. Et bien sûr, The Fall ou Section 25 ont été de grandes influences.
Et comment avez-vous été introduits à ces groupes, même si l'accès à la musique est facile aujourd'hui ? Est-ce que ce sont des artistes de maintenant qui vont ont donné envie d'aller chercher plus loin ? Même pendant le concert, il y a eu un ou deux morceaux qui m'ont vraiment fait penser au travail de Geneva Jacuzzi... Comme une réinterprétation actuelle de quelque chose qui se faisait il y a quarante ans.
Andie : J'adore son travail. Je crois que la première fois que j'ai entendu de la musique des années 1980 c'était dans Wedding Singer avec Adam Sandler ! C'est la vérité, et je me souviens d'avoir regardé ce film tellement de fois.
Dakota : De mon côté, rien de très impressionnant. J'ai commencé avec Joy Division et ensuite j'ai creusé, d'abord par le biais du label Factory Records, et ensuite grâce à YouTube, j'ai pu m'ouvrir à des choses plus obscures. Parfois les algorithmes et les suggestions ne sont pas mauvais.
Il y a aussi une tension et une forme de violence qui ressortait du concert. Vous partez de ces émotions quand vous créez ou c'est plutôt un travail d'abord sur les sons ?
Andie : Je pense que c'est différent selon chacun de nous. Pour moi, c'est très émotionnel.
Dakota : Un peu des deux. Je crois vraiment que nous ne savons jamais avant de faire, ça part souvent d'un simple son, et l'émotion qu'il y a derrière se révèle à la fin.
Dylan : Les deux. Parfois un simple bip te donne envie de créer un rythme avec. D'autres fois, t'as eu une sale journée et tu veux faire quelque chose là-dessus. Mais nous sommes des gens émotionnels qui faisons une musique basée sur les émotions. Et nous ne ferions rien si nous ne souhaitions pas les exprimer.
Vous collectionnez les vieux synthés ?
Dylan : En fait on s'en débarrasse. On essaie de s'acheter un nouvel équipement hi-fi digital.
Dakota : Après si une compagnie veut nous en filer gratuitement, on est partant.
Andie : Mon synthé s'est cassé le premier jour de la tournée.
Oui, quelqu'un a prêté son synthé Korg ce soir…
Andie : Le minilog !
Le deuxième album, c'était déjà il y a deux ans.
Dakota : Un troisième arrive. En novembre ou janvier, on verra. Ces choses prennent du temps.
Dylan : Une bonne partie du set est issue de ce nouvel album.
Vous pensez que vous allez dans une direction différente ?
Dylan : Ce n'est pas une décision consciente. On fait ce qu'on veut, comme on le veut. Peut-être qu'en fait, le prochain se rapproche du premier.
Vous avez terminé le concert avec une reprise de "Is there an Exit?" d'Absolute Body Control…
Dylan : C'est comme notre "Baba O'Riley", notre standard de jazz. C'est une chanson très importante pour nous, on la joue presque tous les soirs.
Avez-vous rencontré Dirk Ivens?
Dylan : Il peut nous écrire quand il veut, nous sommes de grands fans. L'album d'Absolute Body Control avec la couverture en noir et blanc, celui qui est considéré comme le premier en 1981, sur lequel il y a "Waving Hands", a été très important pour m'amener vers ce type de musique. Un ami, décédé il y a deux ans, a mis un jour cet album sur mon iPad et ça a changé ma vue des choses. Avec une reprise de Brian Eno, "Baby's on Fire". Nous avons aussi fait une reprise de "Waving Hands" et nous nous sommes retrouvés autour de cet album. Il est important pour le groupe.
Et ça fait combien de temps que vous jouez ensemble ?
Dakota : Quatre ans environ.
Andie : Dylan jouait dans un groupe de Cincinnati qu'on aimait beaucoup, Dakota et moi. Nous nous connus à ces concerts. Le groupe a commencé assez naturellement.
Dylan : Cela a commencé avec les sorties, danser et écouter des bons disques.
Et on aime danser sur votre musique aussi...
Dylan : C'est vraiment le but.
Andie : Pleurer et danser en même temps.
Merci pour cette petite conversation improvisée. Nous allons attendre votre nouvel album. Vous avez une idée du titre ?
Dylan : "Half Eaten by Dogs". Imagine que tu regardes quelque chose qui soit à moitié dévoré par les chiens. C'est à ça que ça va ressembler.
Les inspirations ?
La mort. La vie. La haine. L'amour. Dieu. Satan. La beauté. La laideur.