Qui l’eût cru ? Un jour, c’était écrit, devrait surgir au monde une nouvelle sortie officielle estampillée Sisters Of Mercy associant Warner et Merciful Release. Le Records Store Day a du bon. Et nous y sommes, nous qui les croyions fâchés comme cochons depuis le début des années 1990. Peut-être est-ce là le signe d’un réchauffement, au moins petit (ne jamais désespérer), entre les deux entités : l’une, mastodonte du music business ; l’autre, microstructure hébergeant et protégeant à sa manière le corps du délit d’un des groupes sombres les plus cultes des eighties.
N’allez pas non plus espérer n’importe quoi : The Sisters Of Mercy n’ont rien sorti du studio de vraiment neuf depuis 1993 (l’EP Under The Gun) - et de ce point de vue, le principe d’abstention reste sacro-saint. Aucun des nouveaux morceaux présentés par les incarnations successives du groupe d’Andrew 'Von' Eldritch n’a connu depuis l’EP final d’autres versions que celles jouées, avec plus ou moins de gloire, sur scène.
La pochette noire qui s'offre aujourd’hui à nos yeux n’en garde que davantage portée symbolique – la peau des serpents reste après la mue – et recouvre, en l’occurrence, de précieuses bandes d’archives remontant au début des années 1980, époque d’émergence du combo de Leeds. Les remarque alors, déjà, un certain John Peel, découvreur de talents souterrains en tous genres. Lui, il avait ses entrées et fort tôt l’heureuse idée de livrer ses chouchoux en pâture par la bénédiction des ondes de la BBC. Les rues allaient prendre la poussière ! Les Peel Sessions, depuis, sont devenues une mine et nous ne comptons plus les artistes marqueurs de leur temps à compter une Peel dans leur discographie officielle. Pour Eldritch & co., il était temps. Les trois sessions des Sisters, que vous pouviez évidemment retrouver en farfouillant rien qu’un peu, sont immortalisées par la parution de ces bandes enfin exhumées pour de vrai des archives de la radio anglaise. Voici donc, a priori, la source la plus clean que vous pourrez jamais trouver sur le marché (nous n’avons pas testé la version double-vinyle, mais la version CD est plus que correcte).
1982-1984 : c’est l’époque des premiers EPs, et de tout ce qui surviendra avant la sortie du premier album First And Last And Always en mars 1985. Andrew Eldritch, sur les photos d’époque (auxquelles nous n'assimilons pas le célèbre cliché ci-dessus, période premier album), peut se faire passer pour un Ramone – une époque qui peut être revécue à travers l’écoute des EPs originels ou de la compilation rétrospective Some Girls Wander By Mistake (1992).
Le son des Sisters est ici capturé lors de trois sessions différentes : les deux initiées par John Peel en 1982 et 1984 (quand il aimait, le type suivait ses affaires) et la séance de 1983 chapeautée par David Jensen, autre figure emblématique de la BBC de 1976 à 1984. Les deux premières sessions voient dialoguer la paire de guitares originelle Ben Gunn / Gary Mary Marx. En 1983, le "Jolene" de Dolly Parton se fait charcuter (Eldritch s’époumone), ce qui lui va bien et surpasse d’assez loin un certain nombre de versions live postérieures des Sisters. Rien que pour ça, ces séances méritent d’être redécouvertes, tant le son du groupe s’y fait charbonneux et suicidesque. Les vapeurs de la brume puent l’essence, et l’effet a déjà quelque chose d’hallucinogène. La lumière au bout du tunnel ? Vous pouvez toujours espérer. Les crissements froids des guitares ont expurgé la chaleur du garage, ce dont il émane un son froid et urbain, quasi-déshumanisé (la reprise de "1969"). Parmi les grandes réussites de ces prises antédiluviennes : "Alice", dont est exposé le squelette, ou encore "Heartland", où la paire Gunn/Marx trouve le juste équilibre entre froideurs mécaniques et noirceurs élévatrices, mais où la basse de Craig Adams ne perce pas assez au mix (contrairement à d’autres prises ici présentes). La voix d’Eldritch trouve alors une tonalité dramatique qui marquera à plein la suite des évènements. Les sessions BBC fixent toujours une histoire.
Cette dimension froide du son du line-up originel ne se dissout pas mais mute en 1984, The Sisters Of Mercy développant sur la troisième session un son plus emphatique et héroïque. Exit, Ben Gunn : Wayne Hussey a intégré la formation et son cortège d’élégances apporté aux guitares (tourneries qui feront la fortune et la marque du futur Mission) divisera, déjà, la communauté des premiers fans (et la divise encore). Il n’en demeure pas moins : la session 1984 est celle qui imprime les mélodies les plus mémorables, dans des versions qui plus est habitées ("Walk Away" et "No Time to cry", singles de présentation du premier opus, l’emblématique et puissant "Poison Door", et le classique "Emma"). Le chant d’Eldritch a mûri, s’est épaissi dans les graves et ces versions dessinent la réussite studio à venir. L’étiquette gothic rock affublée pour l’éternité aux Sisters et honnie par Eldritch (whaaaaat ?!!!...), n’a sans doute pas rien à voir avec les élégances en question. Wayne, sacripant ! Des grâces qui se sont renforcées au fil des premières années et dont la réécoute permet de saisir l’essence originelle du son de ce projet si peu prolifique et vénéré à l’inverse. Les deux caractéristiques, sans doute, ont participé à la réussite ambigüe et étincelante d’un groupe mutant et mû par la vision d’un leader opiniâtre, énigmatique et d’un sarcasme assez peu commun. Fuck me & marry me young.