La réédition de ce deuxième album a besoin de peu de mots, tant The Young Gods sont reconnus à leur juste valeur (même s'ils n'ont pas l'audience de glorieux successeurs tels que Rammstein, et qu'ils n'ont plus l'audience qu'ils avaient gagnée dans les années 1990). Et puis, ce deuxième album est l'un des sommets de leur carrière, ponctuée de multiples pics (l'album de reprises Play Kurt Weill, T.V. Sky, Second Nature). Rappelons tout de même que lorsque cet album sort initialement en 1989, il travaille le lien entre musiques électroniques et guitares heavy (bien mieux que le précédent, trop monolithique, malgré la puissance de sa face B). Les samples sont une marque de fabrique des Gods (dont le nom vient des Swans), les Suisses allant jusqu'à se servir eux-mêmes de leurs propres sons antécédents pour créer des nouveaux titres (Heaven Deconstruction).
Dans ce vaste fourre-tout d'un genre en train de naître, le "metal industriel" (et qui donnera des cadors en termes de ventes et de notoriété, aux Allemands sus-cités, on ajoutera Nine Inch Nails, Marylin Manson ou Fear Factory), on peut s'amuser à égrener les principaux camarades précurseurs : Ministry avec The Land Of Rape And Honey (1988), Voivod - Dimension Hatröss (1988), Foetus Interruptus - Thaw (1988), KMFDM - UAIOE (1989), Christian Death - All The Hate (1989), Godflesh - Streetcleaner (1989), Treponem Pal - s/t (1989), Sielwolf - Sielwolf (1990), Killing Joke - Extremities, Dirt And Various Repressed Emotions (1990), Die Krupps (1992)... Prong - Prove You Wrong (1991)
Comme chacun des groupes cités, avant une uniformisation des sons et des rythmes, The Young Gods ont leur son bien à eux : symphonique (à la Test Dept) et furibard ("Longue Route", magnifiquement salué aussi sur leur Live Sky Tour, quatre ans plus tard). Il y a aussi cette voix rauque qui râpe à la façon de celle de François Hadji-Lazaro. Enfin, sur les textes en français et anglais, une poésie urbaine et céleste à la fois surgit ("Crier les Chiens", beau comme les premiers livres de Jean-Yves Cendrey) ; c'est une poésie post-apocalyptique que n'auraient pas reniée les protagonistes de la BD La Nuit de Philippe Druillet (BD qui servit aussi au groupe Proton Burst, autres précurseurs...).
Ajustant ces éléments, le groupe a une attitude, une localisation socio-politique (la Suisse et le rock, longue histoire !) et une manière de composer, hors des sentiers battus. Leur musique décalée, exigeante, offre une énergie rare et donne un corps sensible à l'expérimentation. Je renvoie les curieux néophytes vers trois morceaux : "Charlotte", hommage sensuel à la femme (petite nièce de la Margaux de Brassens ?), "La Fille de la Mort" est typique des trois premiers disques, "L'Amourir" annonce la face plus roborative du groupe.
Trente ans après, ce disque est un monument vivant, tant il apporte sur les musiques actuelles. La réédition se complète de bonus, judicieusement triés (les triple albums bonus sont vraiment une catégorie à part...) de façon à enchaîner en une seule écoute sans lasser et sans perdre en fulgurances (la faute parfois à des live miteux). Ici, les deux titres donnent un aperçu de la rage de l'époque, les deux mixages alternatifs sont du côté du témoignage.