Tout juste enregistré et mixé à Paris, au Wobbly Ashes, puis masterisé suite à quelques enregistrements additionnels à Rennes, voici le cru Hakola 2020. Il fait suite à l'album d'hommages I fry Mine in Butter! et à la publication de son livre Idaho Babylone chez Actes Sud (2016).
"Who the Hell" est une ode à celle qui est partie : avec ironie, Theo cite Joy Division et d'autres artistes qui ont eux aussi écrit des chansons qu'il qualifie de stupides ; cependant la façon dont sa voix étire les syllabes et tente de retenir l'Aimée attise l'empathie. Le doublage vocal de Lou Gala et les violons discrets de Bénédicte Villain donnent du cœur sans pathos à ce titre d'ouverture. On est également tenté d'y voir une allégorie du public, lui aussi versatile, laissant souvent l'artiste dépité. Pourtant, on tient là un bon cru, avec ce huitième album qui assoit une fois de plus son talent de crooner décalé, aux tons amusés (la scansion de l'ode sensuelle "Scratching the Scruff" est du pur Theo !). Celui qui jouait les possédés dans le rock mutin d'Orchestre Rouge puis de Passion Fodder opère désormais une sorte d'americana en veine bluesy et ballades rock (les guitares et la basse de "1963") qui crée un écrin pour des textes acérés et complices. Le final "Weak in the Knees", en duo avec Gabriela Arnon, est l'un de ses nouveaux bijoux.
"So bad" poursuit les impressions de lecture du roman de Geoffrey Miller, The Mating Mind sur une éventuelle sélection sexuelle de l'évolution. Le piano s'y balance, s'accordant avec les visuels du très beau livret. Plongée dans les années 1950, les pulp romantiques d'amours insatisfaites. Les références aux peintres qui retiennent leurs modèles et amantes basculent la lecture de ce titre, là encore vers l'allégorie. À travers ces possibles fictions où il se rabaisse, Theo parle de lui, de l'artiste seul face à un marché du disque qui ne fonctionne plus comme il le devrait. L'exposition des sentiments ne retient plus grand monde en dehors des titres lissés et matraqués sur les ondes et les télés. Que signifie partager son intimité en faisant œuvre d'art à l'heure des réseaux sociaux qui dilapident l'Autre en miroir à fantasmes ? "Bury me standing" s'inspire du poème "Lady Lazarus" de Sylvia Plath : le ton se fait délicieusement dramatique, aidé par les vocaux de Laure Slabiak. "1963", lui, est en lien avec James Ellroy et son American Tabloid.
"Your Baby blacks, Baby", au long de ses presque six minutes en montée, expose une caricature de femme fatale catalane. En citant les Pyrénées et l'Ebre, Theo Hakola convoque les fantômes d'un autre temps, ceux du XIX° siècle puis ceux de la lutte contre le franquisme. L'appel aux fantômes est ce qu'il est : un témoignage du vide, une reconnaissance de la solitude et du désespoir duquel on tire des chansons douces et déchirantes. Dans "In a Sauna you sweat", il actualise son propos en s'en prenant à Trump et ses fausses certitudes truffées de lieux communs manipulateurs. Ses paroles se font incisives et très rythmées sur "Raing Embers" où l'amour seul permet d'affronter la folie du monde (et de l'Amérique). La drôle de litanie de "Never bought a Bottle of Water" revient sur les multiples errements qui forment la vie de Theo, de Marlon Brando en bête de fantasmes aux Smiths détestés, de l'arrivée du punk à l'affirmation constante de son socialisme. Cette liste tente une justification équilibré du bilan carbone d'une vie, comme si finalement l'eau qui coule du robinet (en France notamment) était cette vie qui file et dont on ne perçoit le bon goût que sur le tard.