Screamers est sorti le 10 mars 2023. Treponem Pal s'impose en quelques titres comme le parrain de la scène rock industriel. Présent aux prémisses de ce genre, le groupe a toujours su dépasser le cadre strict des morceaux calibrés. Malgré les changements de line-ups, la capacité à générer une musique singulière et identifiable est toujours présente. Le trio responsable de Survival Sounds et du moins connu Rockers' Vibes est judicieusement conduit par Marco, enthousiaste et prêt pour tous les dialogues. Entretien téléphonique une fin d'après-midi, après une longue route, comme le chantaient les Young Gods.
Obsküre : Pourquoi ce choix d'endosser ce rôle de gueuleurs, hurleurs, screamers ?
Marco Neves : Screamers ? Ça a toujours été mon profil, ma personnalité, même si je tente de me la jouer crooner par moments parce que j'écoute depuis longtemps énormément de soul, du Frank Sinatra ou Lee Hazlewood, qu'on a d'ailleurs repris sur l'album Rockers' Vibes, où la moitié des titres étaient des reprises. Mais ce titre, Screamers, c'est aussi un clin d'œil au groupe punk The Screamers fondé en 1975 à Los Angeles. Dans tout ce que je fais, il y a un lien vers quelque chose que j'ai apprécié ou vécu. Le démon qu'on a mis en visuel sur la pochette correspond aussi aux screamers. Gueuler, c'est ce qu'on a toujours eu en nous et avec la nouvelle équipe, c'est impressionnant la façon dont on tourne.
Je voyais aussi dans ce nom une dimension de lanceur d'alerte, ceux qui lancent l'alarme, qui préviennent en hurlant. Une dimension qu'on retrouve dans le clip du single "Screamers": on vous y voit allumer avec le feu dans les mains, dénoncer et appeler à ce que chacun individuellement ou collectivement réagisse...
Voilà, exactement, tu as tout résumé en deux secondes : la vidéo et un peu de l'esprit de l'album. C'est le refus de toute autorité – Etat ou autre – et une prise de position pour le milieu gay par exemple qui est gravement menacé. Nous voulions prendre parti pour le droit à la différence, un droit hyper-important pour moi ; ce n'est pas bafoué, mais les réactions en France ou à l'étranger montrent que ça peut coûter très cher de se dire différent et de vivre différemment.
Je reviens sur le plaisir que tu dis prendre avec cette formation, je le retrouve dans la triplette imparable "Badass Sound System", "Screamers" et "Earthquake" : ce sont des classiques indus metal immédiats... Vous sentez arriver cette réussite dans la composition ?
Evidemment, ça fait longtemps qu'on fait ça ! Quand on tient un bon riff, on sait que ça va être efficace... Mais l'efficacité ne suffit pas : plein de groupes savent le faire à l'heure qu'il est. Mais ce que nous on essaie de faire, c'est d'amener autre chose. Sur "Badass" c'est ce côté sound system éloigné du metal-indus, qui est un clin d'œil au reggae, une partie de ma culture. Sur "Earthquake", tu as ces synthés... C'est nécessaire d'amener notre style.
Oui, vous dépassez à chaque fois le cadre. Sur "The Fall", j'aime beaucoup ces sons de cuivres, c'est une idée qui a germé entre Didier (machines) et toi ?
On a ça dans le sang, par rapport au reggae encore une fois, sur ce refrain avec "Babylone, burn, burn, Babylone ; the Fall", ça colle ensemble ! Les sons qui tournent et qui hurlent et que tu entends, ce sont les traditionnels effets dub siren qui sont utilisés dans les sound systems.
Et ça sonne comme un Jéricho, c'est la chute des murs et il faut avancer ! "Heavy Load" a lui aussi tout d'un single. Il y a cette capacité chez vous à avoir des choses très sexy, pesantes et aguicheuses à la fois.
Moi, je traduis cette impression par le terme de groove : c'est ce qu'on amène en musique, sur Survival Sounds, la chanson, on avait aussi ce groove très dansant avec la musique qui matraque derrière. Notre truc, ça a toujours été ça : un groove qui vient de l'influence des musiques noires et qu'on traduit dans notre rock industriel, dans la sauce qu'on sait faire.
Si je vois une référence à la Voivod dans "Out of Mind", comme du temps de "Excess and Overdrive", je me trompe ?
On a toujours été un peu cousins avec Voivod, plus avec Prong et Ministry, on a tous émergé en même temps mais eux, Voivod, je ne les ai jamais rencontrés. C'est un très bon groupe, terrible dans son genre, mais ils ont un côté beaucoup plus heavy metal que nous...
Le délire oriental à la fin de "Crazy Woman" il arrive comment ? On a ce cadre rock'n'roll assez carré malgré une structure complexe, et d'un coup le morceau décolle, ça fait partie des belles surprises !
Ah, là, c'est le style de Polak (guitares. C'est lui qui fait faire les décollages, c'est le heavy-groover number one ! (rires)
Les glissés d'harmonie sur "Cosmic Rider" m'ont fait penser à du Kraftwerk,
Oui, je vois, il y a ce côté un peu froid, ça c'est la création de Polak encore !
Pour le travail sur la voix, comment fais-tu ? Sur "Too late", l'équilibre est réussi pour placer ton chant et être accrocheur sans trop en faire, sans tomber dans le trop sympa ?
Je ne travaille pas la voix au sens strict, c'est de l'inspiration. Pour celui-ci, j'ai commencé une après-midi à le chanter chez moi, tout seul, puis à le chuchoter... J'avais trouvé le truc et je suis allé au studio pour faire une version sous cette forme, plutôt qu'envoyer du bois comme d'habitude. Et sur "Crazy Woman", il y a aussi ce côté-là, moins prononcé. C'est ce qui donne son originalité à "Too late" avec ce refrain qui revient et ça plane. C'est ce genre de titres que j'aimerais faire à l'avenir, où ma voix est plus posée. Ça chante, il y a un slow si l'on peut dire, c'est plus intéressant.
Comment Bastien à la batterie et Didier aux machines se partagent-ils le travail ?
Bastien est arrivé il y a un an, en même temps que les autres, Nikki (basse) et Laurent à peu près. Ils n'ont pas travaillé sur l'album qui est une création à trois : Polak, Didier et moi. Puis Jean-Pierre Mathieu (NDLR : de Naked Apes) s'est joint à nous pour la production et il a programmé les batteries, joué les basses et mixé l'album ; c'est avec lui qu'on avait fait les deux albums précédents.
Laurent Bizet fait son grand retour, lui qu'on avait quitté du temps d'Excess and Overdrive avant qu'il ne fonde Hoax, puis rejoigne Prime Time Victim Show...
Le retour de Laurent est une espèce de coup du hasard : on s'est retrouvé dans une déchetterie en Normandie... J'y passe et sur place un mec m'appelle : c'est Laurent ! Il habitait là ! On a retissé des liens, on a parlé musique. Il avait fait un très bon album de hardcore-punk – c'est son truc, il est une encyclopédie du genre – sous le nom de Strong, qu'il a sorti aux USA. Là-bas, il est connecté à la scène hardcore des Agnostic Front et autres. Je lui ai fait écouter les nouveaux morceaux, qu'on venait juste de maquetter à l'époque, et il a kiffé. Treponem Pal avait déjà joué à deux guitares par le passé, alors je me suis dit que j'allais virer une partie des guitares inscrites dans le sampler et que ce serait Laurent qui les jouerait à sa façon.
En studio, vous avez travaillé comment ?
On a fait les bases chez Didier, dans son petit appartement, on y a fait les guitares aussi, puis on est allé chez Jean-Pierre pour produire l'album. Polak a essayé de refaire les guitares là-bas, mais ça sonnait rock'n'roll "normal". Ce qu'on avait fait à notre sauce sonnait plus intense et industriel !
Il y a cette impression de troupe chez vous. Même si tu es le leader, la figure charismatique, tu maintiens un esprit de groupe.
Tout à fait, il y a une cohésion. C'est collectif, avec cette optique à trois. Les mecs qui viennent dans le groupe aiment notre style et s'engagent, et ça se passe toujours très bien. Il y a eu du mouvement dans le line-up car vivre cette vie où tu ne bouffes pas bien tous les jours, ce n'est pas évident à gérer. Il y a eu alors des allées-et-venues...
Depuis trente ans, tu fais un distingo travail / amitié ?
Oui, c'est ça. Chaque mec investi entraîne des discussions, mais ça se fait naturellement. On ajoute des gens, on crée ensemble, il n'y a pas de problèmes. Pour le label, c'est pareil, il faut aussi du travail et pas qu'une histoire de relationnel. Là, on a changé de label, on est chez AT(h)OME Records avec Olivier. Ça démarre fort, ils font un travail d'enfer ! On va passer sur la promo pour le monde, l'international et on attend de voir s'ils vont être aussi efficaces, mais pour la sortie annoncée au 10 mars en France, franchement il n'y a rien à dire, ils sont très investis.
C'est important, ce soutien aujourd'hui, par rapport aux évolutions du monde de la musique, par rapport au métier de musicien et à ses évolutions ?
Je ne sais pas si moi-même je fais un "métier de musicien". La vie de musicien, ça reste aléatoire, ce qu'on fait reste si extrême et sans concessions pour tant de gens qu'on ne peut pas en attendre que ce soit un vrai "métier". Pour moi, c'est un choix de vie et je ne regrette rien, j'ai la chance d'avoir vécu ça.
Mais sur les passages radio, télé, les ventes physiques, tout a changé !
Bien sûr, mais il faut vivre avec son temps. C'est pas la peine de pleurnicher et de dire que c'était mieux avant, on vit avec son temps et on s'adapte, c'est tout.
Treponem Pal c'est quoi aujourd'hui pour toi, quelle leçon en tires-tu ?
Oh, pas de leçon, c'est un style de vie. Même si je fais d'autres choses en parallèle, ma vie passe par ce groupe. C'est le monde de la musique, c'est ce que j'ai vécu, et développé, et produit depuis longtemps maintenant. Un style de vie, avec les tripes, où tu peux t'exprimer librement sans que personne ne te mette de barrières ou de limites. À travers la musique, j'ai pu faire du reggae avec Elephant Sound System, et ce qu'on appellera du rock industriel avec Treponem Pal : j'ai peut-être une espèce de schizophrénie musicale en moi. Je passe de quelque chose de positif à quelque chose d'intense et dark, et en fonction de ça, on produit ce qu'il faut... Depuis que j'ai relancé Treponem Pal, avec Didier et Polak, ça marche.