Les médiations entre metal et hip-hop interpellent, mais elles sont souvent plus simples qu’on ne le pense. Ici, Tri-Function Million, réunion d’obsédés du flow basés à Oslow… pardon, Oslo, gravite dans une galaxie de potes et de potes de potes, où l’on retrouve notamment Gribberiket, groupe de doom metal un brin décalé, également hébergé par le label français Dead Seed Productions. C’est d’ailleurs à Sindre Foss Skancke, membre de Gribberiket et dessinateur tout à fait visionnaire, que l’on doit l’énigmatique visuel de ce Terraformer.
Plus de dix ans après Sprukket Jord, ce deuxième opus frappe dès l’entame par l’atmosphère laiteuse, désaturée, dans laquelle il évolue. On pense mécaniquement à Dälek, qui aime opérer derrière ce genre de voile. Le regard vagabonde sur de grands squelettes d’acier à demi mangés par la neige. On est en Norvège après tout. Mais très vite Tri-Function Million impose son style fait de rythmiques sèches et d’effets de platine mordants, voire abrasifs. Suivant le cap fixé par MC Kyber (aussi chez Gribberiket), les voix s’entrecroisent, alternant entre débit scandé et harangues frondeuses. On se distancie d’un hip-hop purement abstrait pour glisser dans un trip lié par le collectif, où transparaît par éclairs la silhouette inimitable de Jedi Mind Tricks.
L’album distille une matière mélodique par touches subtiles, preuve que le groupe sait jouer de plusieurs cordes simultanément. Ce sont les stridences industrielles de "Slør av Kjetting" qui se diluent dans une belle mélancolie alors que tout, alentour, disparaît dans le bruit. C’est le background lancinant de "Mot alt Betent", que l’on sifflote comme une discrète ritournelle de fin de nuit. Sur l’excellent instru final "For ikke å Miste det Som Var Del 2", un sample de chorale (africaine ?) bataille contre les filtres et une rythmique de plus en plus lourde. Au milieu de tout ça, la petite bande de Tri-Function Million anime le programme avec une parfaite élocution, tantôt théâtrale, tantôt enfiévrée, parfois espiègle, sans l’agressivité déplacée ni les postures putassières qui desservent bien trop le genre.
L’unité sans l’uniformité, pour quarante-cinq minutes de pur hip-hop européen en mode climatiseur, à dévorer sans laisser une miette.
On priera simplement Dead Seed Productions, qui n’en serait pas à sa première folie, de livrer l’album accompagné d’une méthode Assimil. S’il est bien un style où comprendre les paroles représente une vraie plus-value, le hip-hop est celui-ci, et on regrette de buter sur ce manque, même si la curiosité suscitée par un phrasé de bâtard dans la langue du black metal se suffit quelque part à elle-même.
