Cinq ans après la sortie d'Elegance Never Dies, T21 est toujours en vie et célèbre ses quarante ans sur scène. Juste avant les deux concerts du groupe au Théâtre de Denain ce vendredi 7 octobre 2022 et à Paris (Elysée Montmartre) samedi 8 (avec en guests Clan Of Xymox), Philippe Lomprez a échangé avec Klär T. sur les moteurs de l'art, l'indépendance, la place des musiciens coopérant avec le binôme fondateur, et la place de T21 dans la scène tout court. Sommes-nous arrivés au bout du chemin ? Les réponses de Philippe à Obsküre. Deuxième partie de notre entretien mémoriel et exclusif avec T21.
Obsküre : Lorsqu’on pense T21, évidemment on pense à des morceaux d’anthologie comme "The last Song" ou l’instrumental "Djakarta". Je me rappelle très bien lors de votre concert à La Locomotive en 2004... Dès les premières notes de "The last Song", on a senti une émotion submerger la salle, les personnes sont entrées dans une sorte de transe. Comment expliques-tu que cette chanson soit entrée dans le panthéon de la musique alternative et qu’elle produise cet effet ?
Philippe Lomprez : C’est super mais je n’ai pas vraiment d’explication ferme. Cela peut être dû à plusieurs petites choses : la pochette de Chapter IV peut avoir joué aussi son rôle. La peinture de Goya ne laisse pas indifférent. J’imagine souvent les gens comme des boîtes un peu fermées et parfois un visuel fort peut faire l’effet d’un levier qui entrouvre le couvercle de la boite. Je crois à la puissance de l’association entre l’image et le son : l’un qui marque la rétine et l’autre, l’oreille, ça peut toucher l’âme des gens. Et puis il y a aussi le titre du morceau : "The last Song", c’est quand même une chanson d’amour, il y a une urgence derrière ce titre et puis c’est le titre qui ouvre l’album. Tout ça peut peut-être expliquer l’effet que produit encore aujourd’hui "The last Song".
Des sons synthé froids du départ, vous avez intégré des sons guitares, notamment au moment de Works. La musique de T21 s’est un peu durcie avec la collaboration avec Bruno Objoie, un guitariste hard rock… comment expliques-tu ce choix artistique ?
Cela ne s’était jamais fait dans la musique classée électro-dark… Déstabiliser, c’est notre côté punk. Bruno a trouvé intéressant le challenge et il a amené sa guitare sur Works. Il est intervenu également sur Play The Pictures. Ça a été une collaboration momentanée et très intéressante.
Depuis quelques années vous collaborez avec Gregg Anthe de Morthem Vlade art : qu’est-ce qui vous rassemble ?
Greg est notre musicien préféré sur scène, c’est non seulement un fan de T21 mais il a parfaitement compris l’esprit du groupe. Sur scène, c’est comme s’il avait toujours fait partie de la formation. Il y a entre nous une totale confiance et une sorte d’alchimie qui fait que ça fonctionne impeccablement. Cela nous procure évidemment beaucoup de plaisir de jouer ensemble et donc de pouvoir profiter pleinement d’un moment de partage avec le public.
Les médias qui vous interviewent vous demandent souvent quelles sont les influences musicales de T21. Votre son est tellement personnel que j’ai plutôt envie de te demander plutôt quelles sont les influences non musicales qui irriguent l’univers sonore de T21 ?
Le visuel bien sûr mais pas uniquement au sens photo, cinéma… Nous avons toujours été inspirés par l’image même si nous ne sommes pas des cinéphiles, à proprement parler. Il y a des images qui nous ont percutés. D’abord celles de la vie, du quotidien, celles de la période industrielle où quand tu sors la nuit et qu’il y a une coulée d’acier qui s’effectue, le ciel devient complètement rouge … ce sont des chocs visuels inspirants. La philosophie aussi et certaines de ses personnalités comme le musicologue et philosophe Vladimir Jankélevitch, dont j’aime beaucoup la pensée. En 1968, il disait qu’il n’était pas bousculé par les étudiants car dans son amphithéâtre, ces derniers pouvaient fumer et que la fumée des gens ne l’empêchait pas de réfléchir. C’est cette liberté que nous cherchons et qui nous inspire.
T21 est un groupe majeur de la coldwave, aussi légendaire que discret, loin des clichés, ce qui vous a valu parfois d’être boudés par les médias … T21 serait-il une singularité, un paradoxe dans le paysage musical français ?
Une singularité c’est certain, déjà de par le nom qui a créé des réactions voire des clivages. Aujourd’hui un nom comme celui-ci n’est plus possible. Plein de gens de radio ou de TV nous disaient : "J’adore ce que vous faites mais on ne pourra jamais vous passer avec le nom que vous avez, ce n’est pas possible." C’était probablement un mal pour un bien, on s’en foutait un peu. Avec le recul, on se dit que l’on aurait pu avoir une autre carrière et toucher plus de monde si nous avions été davantage médiatisés mais au final nous aurions peut-être perdu notre âme.
T21 préside désormais seul à sa propre destinée. Après être passé chez PIAS et Le Maquis : que retiens-tu de l’expérience d’avoir été sous un label ?
Pas que du bon. Quand sort Chapter IV chez PIAS, la maison de disques est consciente que c’est un vrai succès international mais qu’elle est encore un petit label pas suffisamment dimensionné et donc pas en capacité de booster, de thésauriser sur ce succès. Après coup les gens de PIAS se disent qu’ils ont loupé le coche avec nous. Nous n’étions pas assez mûrs et eux, pas assez forts. Quand on crée Million Lights et que l’on supprime la basse, ils se disent que nous sommes complètement dingues et que l’on va se planter. Finalement l’album fonctionne très bien. C’est le deuxième rendez-vous manqué avec T21. Puis arrive Play The Pictures, l’album de musiques de film que la maison de disques n’aime pas – en fait PIAS n’aime pas T21 depuis le départ, parce que notre son n’était pas dans leur culture- et là ils se disent que cet album va tellement faire un flop qu’il vaut mieux en faire un tirage limité. Et là, les préventes explosent… À chaque fois, T21 déjoue leurs pronostics.
Ce que j’en retiens c’est que notre passage chez PIAS n’aura été que des rendez-vous manqués/ratés. Nous sommes passés les uns à côté des autres, mais le label a quand même gagné sa vie.
Vous revenez sur scène pour fêter vos quarante ans d’existence : peux-tu nous dire quelle coloration vous envisagez de donner à votre set live ?
Sans trop en dire, nous allons balayer un peu toute la carrière en jouant des morceaux que nous n’avons pas joués sur scène jusqu’ici. Je peux juste te dire qu’il n’y aura pas de morceau de Million Lights. On ne fera pas non plus l’inconditionnel "Waiting for", que nous jouons très souvent. Notre choix ira sur des raretés pour célébrer dignement ces quarante ans, étonner et se faire plaisir.
Qu’attends-tu de ces retrouvailles avec le public ?
Peut-être de faire le lien avec tous nos publics : public de la première heure et celui qui nous a découverts plus tard, où se mêlent des gens de tous les âges et de tous horizons.
Elegance Never Dies est le dernier opus de Trisomie 21, il date de 2017 et comme on peut le remarquer les initiales du titre forment le mot END… Comment vois-tu le futur de T21 ? Des projets studio en perspective ?
On s’est toujours imaginés comme une sorte de comète qui vient visiter les habitants de la Terre, qui repart, qui met du temps à revenir. Dès fois, les comètes elles finissent par disparaître… Je pense que ce sera pareil pour nous. Une chose est sûre : c’est que c’est nous qui déciderons de la fin, c’est plus romanesque (sourire). Disons que le pronostic vital de T21 est engagé.