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Livre & Musique
04/10/2020

Tristan Tzara – Nurse With Wound

Minuits Pour Géants – On The Edge Of The Outside

Editeur : Lenka Lente
Genre : visions surréalistes d'une fin de l'homme
Date de sortie : 2020/07/01
Note : 85%
Posté par : Sylvaïn Nicolino

Nouvelle sortie pour le label-maison d'éditions Lenka Lente. Cette fois, on retrouve le familier Nurse With Wound dont la pièce On The Edge Of The Outside complète le texte de l'écrivain Tristan Tzara, intitulé Minuits Pour Géants.

Dès le visuel de Richard Tennant, on sait que l'approche sera une plongée dans l'intimité des cauchemars. Un caillou observé sert d'objet fantasmé : que contient-il ? D'où vient-il ? Qui l'a touché avant que le narrateur ne le ramasse ? Cette vie des pierres interpelle depuis des millénaires ; récemment des artistes les font chanter (Pinuccio Sciola) ou bien les prennent en photo sous des éclairages mettant en valeur des figures (Denis Argaut, découvreur d'ombres).

Le narrateur de Tzara la manipule scrupuleusement, cette pierre, puisque, étymologiquement, ce scrupulus était la petite pierre qui gênait la bonne marche des légionnaires romains. Puis, ce scrupule est devenu le sentiment d'inquiétude, l'embarras et le souci. Dans une langue poétique et surréaliste, Tzara (l'un des fondateurs du mouvement Dada) multiplie les comparaisons et les métaphores afin de rendre vivant ce qui ne l'est pas, afin de rendre tangible l'espace des rêves. Le corps morcelé se fait le réceptacle de violences mal contenues. Ses artères et sa circulation d'humeurs laissent passer les images insolites et choquantes, comme si l'auteur, par ses mots, se cherchait un frère ou une sœur d'âme. L'appel à l'enfance du lecteur est un manifeste, cet âge où tout peut advenir, où les arbres se déplacent, où les lignes de la main prophétisent ce que pourrait être une vie et où les piétons deviennent une farandole d'animaux indéfinis.

Pourtant, l'expérience contée à demi-mots est celle des relations amoureuses, vécues comme autant de parties d'échecs dans lesquelles la triche est un moyen comme un autre de déplacer et dépasser les attentes. La vigne qui serpente se lie avec un alphabet, qui lui aussi tenterait de saisir et de retenir les amours qui s'enfuient. Face au vide, il reste le désert, dans lequel on scrute un quelque chose vers lequel tendre la voix. Pareillement, la musique de Nurse With Wound erre dans sa partition, changeant les instruments et les sonorités, jouant des faux rassemblements avant la solitude des notes de piano, rendue plus prégnante par des drones et murmures indéfinis.

Réunir deux artistes permet de contrer ce sentiment de gâchis ou de dégoût qui assaille le narrateur. En fin de compte, Lenka Lente trouve à ce texte son compagnon de route, celui qui l'aidera à dénicher les insomnies salutaires. Un juste revirement quand on sait que Tzara fut rejeté par une partie des Dadaïstes et qu'il eut du mal à trouver sa place au sein des Surréalistes.

"Inexprimable tiédeur. Les yeux de jeunesse en jeunesse plus aigus. J'ai eu aussi des ailes à caresser dans un langage limpide qui m'effleurait à peine. C'était une prison formée de longues enfances, le supplice de trop beaux jours d'été. Et leurs rires tordus, habillés de noir, comme la seule tendresse qu'il me fut donné de rencontrer au cours de mes nombreuses années de recherches, à tordre les gorges dans leur lait, les fugitives, enfin fixées, aux jambes de sel, aux yeux de définitives éclaircies dans la mélancolie vénérable de ce jeu d'étincelles. Quand  elles s'éteignent dans le sang étouffé avec un cri filant d'étoile. Comme personne n'a vécu."

Avant Tzara, Lautréamont avait exhibé semblable mélancolie outrancière. Plus tard dans le siècle, Louis Calaferte et Antonin Artaud généreront de semblables hallucinations solitaires. Jours et nuits se succèdent, sans que l'époque ou bien le lieu ne soient indiqués. Il s'agit de fuir et d'être rattrapé par ce qui hante et tournoie. Les ravages, les rafales et la mort, seuls, font les destinés que l'on cherche aveuglément dans les étoiles.