Sous ce titre emprunté à Charles Bukowski se révèle un recueil de nouvelles. Celles-ci ont été assemblées par Les Avocats Du Diable, structure hébergée par la Maison d'Edition Au Diable vauvert. Chaque année, ces avocats littéraires lancent un thème : L'amour Est Un Chien De l'Enfer pour l'édition 2023. Ils tirent également au sort le mot qui doit clore le texte, "ampoule" pour cette année. Le genre est celui de la Nouvelle érotique puisqu'un prix est attribué. En revanche, ce qui fait la spécificité de ce concours, c'est sa mise en place puisque les éléments sont dévoilés un soir (le 12 novembre 2022 cette fois-ci) et que les candidats ont devant eux les huit heures de cette longue nuit pour écrire et envoyer leur copie.
Cette année, les cinq avocats présidés par Jean-Pierre Chambon et accompagnés des deux lauréats de 2022 (huit jurys donc) ont eu à départager cent-quatre-ving-quatorze participants ! Phil Becker (photo ci-dessous) et Marie Noé ont été récompensés ; neuf autres textes accompagnent les leurs sur ces cent-soixante pages.
L'érotisme ou la pornographie ne sont pas des genres simples. Il faut donner une excitation par des mots, sortir des clichés qui ne font pas rêver, avoir dans le même geste un recul pour donner du corps au récit et à une réflexion, réussir à faire surgir une langue originale. Les scènes osées sont ainsi une partie de chacun de ces textes et non pas l'intégralité. C'est une sorte de piment qui arrive et se pose sur des textes qui auraient pu fonctionner sans ces passages. C'est là une manière d'aborder un peu légère.
Dans ce premier ensemble, je place les textes suivants.
La riche ado gâtée India pratique du bodyswap et s'insère virtuellement dans les corps des autres pour sentir vivre leurs sensations sans dommage pour elle, jusqu'à ce que... L'ambiance dystopique à la Liberatore est intéressante ("Bodyswap" de Becker). "Hors les Flammes" d'Antoine Paris est un hommage aux nouvelles fantastiques fin de siècle, avec un journal de bord, un hôpital psychiatrique et une femme possédée qui se tape une partie des adultes de l'établissement. Bien ficelé, le texte reste un peu court ; on sent que le sexe n'est qu'un atout dans une main possiblement plus garnie, alors cette pathologie à peine esquissée gagnera à se développer. "Galatée" de Nelly Chadour arpente une même sente XIXème ou antique avec une métamorphose ovidienne et christique sympathique à la lecture initiale, mais qui quelques jours après ne s'est pas plus imprimée, la faute peut-être à un point de vue qui ne creuse pas suffisamment les errements de cette statue et de cette pensionnaire de couvent rousse.
Tasha Rumley, avec "Devices connected" propose une histoire d'amour un temps écartée ; les protagonistes se retrouvent cinq ans plus tard pour une nuit, mais corps et âmes semblent définitivement séparés. Cette très belle nouvelle comble les manques explicites des textes de l'Anglaise Elizabeth Taylor (la romancière, pas l'actrice). Un vrai talent dans l'auscultation des êtres. Aïssa Lacheb, auteur maison du Diable Vauvert m'a bien amusé avec son gigolo vendeur de croquettes qui nourrit les richissimes vieilles femmes du quartier. Même si la gaudriole est l'objet de ces rencontres, la façon d'aborder l'acte, comme dans les vaudevilles, donne à cette nouvelle une tournure plus humoristique et enjouée qu'érotique et saccadée. L'amour peut bien sûr se conjuguer avec la joie et la finesse, mais ici, les deux l'emportent nettement en tournant autour du pot, même si, semble-t-il, c'est bien dans les vieux pots qu'on fait les meilleures confitures. Enfin, Lilou Laponie avec "Montre-moi ton Côté sombre" élabore le récit du début d'une liaison entre deux amis. C'est élégant, racé, tendre et efficace, le pendant optimiste de certains récits de Cathy Itak.
D'autres sont tout entier portés par les pulsions sexuelles : "Martha" (de Noé) est un récit bien écrit, en courts paragraphes de prose quasi poétique, relatant la liaison toxique et dominatrice entre deux femmes, avec un déroulé assez perturbant et effrayant. "Fabienne" de Rodolphe Doublet décrit un abandon dans le fétichisme des pieds ; il lui manque un quelque chose même si l'émoticon qu'il invente, peint sur les ongles se grave efficacement dans nos têtes. "Pongo" de Niels Huet Haniset n'y va pas par quatre chemins, exploitant la figure du clochard céleste se payant du bon temps. Le choix d'un narrateur extérieur (bien malgré lui) ajoute un plaisir ironique aux situations. La montée dans les outrages est classique, mais bien ficelée. Loup Chérilandre expose dans "L'Odeur des Vivantes" une thérapie très bien montée pour qu'un soldat retrouve le goût de sa femme, malgré les traumatismes vécus. Le texte est excitant, le contexte bien posé et l'amour entre les deux fait plaisir ; d'une écriture classique, Loup engage son lecteur et l'emmène dans sa galerie de fantasmes. Dans "Gloria Patri", Emilie Bénéro additionne les scènes avec audace, donnant au recueil sa pleine dimension, mais sans toucher la grâce d'un recul suffisant, alors qu'elle a déjà un bon parcours d'écriture. La faute aux huit heures fatidiques ?
Quelques lignes présentent chacun des auteurs : six hommes et cinq femmes. La variété des sens du mot ampoule est source d'amusement car on guette la manière dont le nom sera amené in fine. Les chiens de l'enfer sont réels ou métaphoriques, un texte se réfère explicitement à Bukowski. Mais ce n'est finalement pas l'enjeu : on imagine sans peine le travail des auteurs durant cette nuit de décembre et on remercie le jury pour sa sélection : dans ce recueil léger, bien ficelé, on a de belles pages.