LOST IN TRANSLATION
Initialement sorti en 2006, l’album de reprises Monsieur Gainsbourg Revisited a été réédité le 24 avril dernier en CD et vinyle. Version exclusivement britannique servie par quelques grands noms de la scène internationale, l’œuvre compile quinze titres cultes de "l’homme à tête de chou" réadaptés en anglais. De Franz Ferdinand à Brian Molko en passant par Portishead, Marianne Faithfull, Jarvis Cocker, Tricky et The Kills (pour ne citer qu’eux), on y découvre comment la fine fleur de la pop anglaise s’est approprié l’univers gainsbourgien (taillé pour elle, il est vrai). Le choix de la langue de Shakespeare pour faire revivre la poésie de Gainsbourg reste quant à lui, sinon dysfonctionnel, au mieux discutable.
Le casting provoque appétit – on se croirait d’ailleurs dans une liste du Who’s Who de la pop. L’idée d’un hommage à Serge Gainsbourg est somme toute assez naturelle quand on y pense, puisque ayant embrassé le large spectre musical, du rock au reggae, du jazz à l’électro, notre Gainsbourg national a marqué et inspiré durablement des générations de musiciens. Aussi, qu’une bande d’artistes anglophones "branchés" revendique l’influence et revisite l’œuvre du plus subversif et sulfureux des chanteurs français a non seulement toute légitimité mais potentiellement toutes les raisons d’évangéliser.
Sur le plan de la composition musicale, le tribute fonctionne bien dans l’ensemble avec une énergie pop rock qui se laisser plaisamment déguster ; nos amis d’Albion savent faire.
Entre fidélité au formalisme initial des titres et prises de risque, l’opus fait globalement montre d’une créativité certaine dans le délicat exercice de réappropriation.
La pertinence du traitement rock de "Sorry Angel" par Franz Ferdinand réussit par son grain nerveux à faire "oublier" la dramaturgie mélodique des guitares de la version originelle. L’approche électrisante de Brian Molko sur "Requiem for a Jerk (Requiem pour un Con)" se défait de sa coloration jazzy native au profit d’une ligne électro sombre signée Faultline. Pulsée par la voix d’un Molko tonitruant, le morceau constitue d’ailleurs un des climax de l’album.
Portishead, habitué à sampler Gainsbourg ne dévisse pas non plus dans son traitement trip hop du morceau "Anna", rebaptisé pour l’occasion "Requiem for Anna". On notera d’ailleurs que l’intro s’appuie habilement sur la rythmique jazzy de "Requiem pour un Con"… histoire pour Beth Gibbons et ses acolytes de brouiller les pistes et de s’amuser un peu avec notre patrimoine musical.
Dans le camp des autres bonnes surprises à découvrir, on pourra se délecter de l’interprétation toute en finesse de Michael Stipe (ex-chanteur de REM) de "l’Hotel (L’Hôtel particulier)", dont la puissance érotique est savamment servie par une scansion mélodieuse. L’orchestration ici ne trahit pas l’inquiétante sensualité de la version originelle. Plus loin, on notera l’intéressante contribution de Marc Almond avec "Boy Toy (I’m the Boy)" dans une version électro marquée très new wave qui nous ramène à l’époque de Soft Cell.
Pari globalement gagné donc sur l’approche musicale, nonobstant… art de refaire et art de faire revivre sont deux choses bien différentes et ne convergent pas toujours.
Serge Gainsbourg avait entre-autres le génie des mots. La puissance de ses textes reposait sur une poésie douce-amère émaillée de jeux de mots subtils, de sous-entendus à la férocité perverse que la langue d’Outre-Manche peine à restituer. "Le Poinçonneur des Lilas" devenu "Just a Man with a Job" en est une illustration parmi d’autres. Si l’on peut saluer néanmoins le travail ardu de Boris Bergmann dans l’adaptation des chansons de Gainsbourg en anglais, on peut toutefois en ressentir la limite sur de nombreuses reprises. La difficile fidélité au texte et sa résistance à sa transposition dans une autre langue que la nôtre confine parfois à une déperdition d’émotions au mieux, à un manque de consistance au pire. Certes, le vouloir dire n’est pas que dans les mots mais il se construit à partir des mots.
Monsieur Gainsbourg aurait été probablement flatté que son univers musical inspira de nombreux de talents internationaux mais il est moins certain qu’il eût été totalement conquis par la capacité d’accueil de son verbe dans une autre langue que la sienne.