Une grande partie des trajets de cet été ont été rythmés et animés par la compilation du label Warriorecords. Rebeka Warrior est la curatrice et a conçu cette compilation maison comme un acte artistique et un Manifeste. agnès b. vient prêter son nom et sans doute quelques conseils (on rappelle les compilations historiques Des Jeunes Gens Mödernes ou encore la participation de la galerie au troisième album des Tétines Noires...). La poète Laura Vazquez (Goncourt poésie ; on vous en avait parlé pour sa traduction de Vous Dans La Montagne de Franck Doyen) place un poème sur le visuel du CD et du vinyle dans lequel l'amour permet de contrer les incertitudes présentes et d'en saisir les hallucinantes phases.
La sélection est majoritairement féminine, jeune et dynamique. Ainsi, on aime la fougue de l'Espagnole Dame Area, minimale et saturée, ligne harmonique tabassée par des sons des débuts de l'industrielle / EBM. Sa véhémence reste cependant agréable du fait de l'insouciance donnée à sa harangue. Festif (et on fantasme sur une jonction avec Krav Boca). On va plus loin dans l'EBM cold avec le très bon titre de NNHMN dont le "Love" explore l'amour qui consume et ses limites. Plus noire en revanche est Jennifer Touch, artiste à suivre de près : sa veine cold-dark est totalement dans l'ancrage "renaissance froide" de ces dernières années. Minuit Machine [photo ci-dessous] en revanche montre une fois de plus sa mue vers des compositions plus techno avec un "Love Bomber" démonstratif, armé pour vibrer et sonner la charge... Ce nouveau titre fait suite à l'album 24 et au départ d'Hélène, donnant des gages de qualité pour l'avenir du projet musical.
Le "Gatito Zombie" de la Suisse Baby Volcano se découvre dans une version Warrior ; se rapprochant des expérimentations des débuts de Mansfield.TYA (dont on aimerait bien un coffret regroupant les premiers albums en réédition). Cate Hortl, elle, propose un titre travaillé en plusieurs étapes : de l'electro de club descendant de Miss Kittin à des breaks plus étonnants, teintés de sombre là encore (mélancolie, bruitages, multiplication des effets). Très intéressant dans sa volonté de ne pas suivre une formule et de donner un aperçu plus complet en un seul titre. Denuit est aussi un projet élégant et marquant, là encore dans un adoubement avec les ambiances proposées par Kompromat / Mansfield.TYA.
L'engagement dans cette compilation tient aussi des attitudes : on tient là des gens qui travaillent, pour lesquels la musique est à la fois un exutoire et un moyen d'expression ; mais conscients de son impact et de la nécessité de se faire gentiment concurrence, ils challengent et montent les exigences.
Quand la musique me plaît moins, l'engagement est autre : ainsi le titre "P.A.L.O.M.A" joue une pop techno connue sur Mylène Farmer et Alyzée (sympa, mais pas non plus ma tasse de thé), efficace et tubesque. Les paroles et le regroupement d'artistes aident au soutien : comment vivre une vie de drag ou homo aujourd'hui, entre la célébrité télévisuelle, qui joue à la fois de la reconnaissance et du buzz (on se souvient de l'émission C'est Mon Choix, qui épousait les mêmes travers au tournant du siècle) et le rejet viscéral qui fait de la différence assumée une cible virtuelle et réelle ? Rebeka avec son label ne cache pas son militantisme, tout comme la cérémonie d'ouverture des JO avait assumé des choix d'intégration. Il faut aussi suivre et protéger après la mise en lumières, réussir à garder à la fois de la singularité (montrer et jouer avec l'étrange) tout en créant un univers riche et devenir artiste (l'exemple de Sopor Aeternus dans la musique goth est riche de couches).
Zombie Chang rate sa proposition, son "Bouquet de Cigarettes" sonne trop Sexy Sushi (malgré une voix plus chantante et un violon sympathique) et dans ce registre de la descendance assumée, je ne peux que conseiller les travaux du duo Ultramoderne, Les Vulves Assassines, ou encore de Venin Carmin.
Vimala Pons [ci-dessus] marque une pause plus intimiste, avec un titre de fin de nuit, attentiste, contemplatif, proche peut-être de ce qu'offre Maud Geffray (autre spectaculaire artiste dont le label a signé un EP). À l'opposé, le nom amusant de PUTAS VAMPIRAS (en majuscules) délivre platement une techno minimale hardcore qui peine à me convaincre en formule audio. C'est Jean Terechkova qui ferme le ban avec un titre rapide, ludique, tissant un lien entre les années 1980 et les audaces bravaches des mélanges de la génération TikTok.
Les quinze titres ont leurs particularités qui témoignent du positionnement esthétique aujourd'hui de Rebeka et du label ; on peut moins aimer certaines lignes, mais la grande diversité reste homogène par le traitement précis des sons, et les enchaînements de titres ont été pensés pour que chacun soit mis en valeur (quand bien même le "Parasite" de Belaria pâtit peut-être un peu de son positionnement en fin de disque). La voix mâle susurrée de SYZYGYX vient à point nommé, même si je regrette que cette ligne de basse synthétique n'ait pas été amenée à plus d'ampleur. Une attente d'une vengeance, d'une fin du monde qui ne vient pas, comme dans le roman de Buzzati, Le Désert Des Tartares, une triste époque qui laisse perplexe une partie de notre jeunesse. Borusiade délivre un titre en demi-teinte, indus et clubby avec toute l'antinomie dont était capable Die Form : c'est noir, sournois, lent, vicié.
La fin de l'été est arrivée, avec neuf titres très pertinents sur quinze. Je ne peux que conseiller vivement l'écoute et de guetter le volume 2 de ce projet bien défendu.
