C'est un défi de haute tenue qu'a relevé Unknown Pleasures Records pour faire exister ce tribute à Death In June. En dehors des fatwah lancées, des tergiversations, la figure musicale de Death In June pose un obstacle. Né en 1981 sur les cendres de Crisis, groupe punk aujourd'hui culte, le projet Death In June a une discographie plutôt imposante. Douglas Pearce, le leader, n'a cessé de sortir des disques depuis quarante ans, et la variété des instrumentations a toujours été présente (derrière le cliché de la guitare acoustique).
Comment faire surgir un codage de l'essence de Death In June, comment donner un aperçu de cette richesse, et comment ce-faisant préserver la personnalité des intervenants ? Autant d'enjeux qui sont abordés, point par point, titre par titre.
Douglas Pearce, c'est également une voix identifiable aux premiers instants, mais elle aussi variée (parfois remplacée par celle de ses invités). À ce jeu, on aime Ono Scream qui rapproche le chant original d'une complainte à la Blixa Bargeld / Nick Cave en associant une forte basse qui rend plus chaloupante la mélodie dépouillée. Chris Shape, pour sa part, abaisse encore les basses du séminal "Heaven Street" et en fait un titre dansant. Régulièrement, des ajouts de voix féminines adoucissent le propos et portent plus fort la charge nostalgique de cette belle musique (la palme avec le chant d'Edgar's Dream soutenu par quelques violons). Larme Blanche sussure suavement sa reprise de "Break the black Ice". Voilà pour la voix.
La dimension orchestrale appelle des interprétations luxuriantes : des claviers pompeux soulignent efficacement les notions de grandeur. Sur cette orchestration de DIJ (voir "Winter Eagle" et son sample déformé du "Prologue" du Siegfried de Wagner), on a là une barrière que ne peuvent franchir les groupes. Reprendre Death In June, c'est accepter de ne pas les imiter. Avec cette règle, on obtient des résultats étonnants : Selfishadows rendent leur reprise meilleure que l'originale (si si...), avec ce renfort synthétique. Into Nowhere appuie fortement ses propres claviers : sa reprise de "Holy Water" garde l'atemporalité de l'originale puisqu'en plein post-punk, les carillons minimalistes détonnaient face aux rythmiques. Ici, ce sont les basses qui tournent en boucle, provoquant un trou sans fond, une spirale de déception en adéquation avec le propos tenu. Etrangement, la version de "The Calling MKII" proposée par Mauri (Mauricio Ibañez, aka DJ Mauri, présent dans le duo Fluxus) et Selfishadows se fait plus organique que l'originale (un des rares titres proto-EBM de DIJ, sous influence Patrick Leagas). Judith Juillerat sort du lot : en reprenant "Fall apart", elle réinvente en partie la partition initiale, l'émancipant dans son propre cadre fait d'allers et retours. La composition originale, de moins de trois minutes, se trouve complétée d'une libre extension, sensitive et marquante. Enfin, le duo Forgotten Sunrise développe avec bonheur les intentions de valse de "Little Black Angel".
Avec plaisir on retrouve des hymnes du groupe, comme ce "Nothing changes", une composition proche dans l'esprit d'un Peter Murphy. Les doublons du même titre ne sont pas gênants : chacun des intervenants ayant sa vision de la reprise, sur celle-ci, je salue tout autant la noirceur de Years Of Denial que le post-punk marbré des incontournables European Ghost. Pourtant, on aurait aimé récupérer un panorama plus large (et la présence de l'instrumental "Nation" surprend tout autant qu'elle officie la variété de DIJ) ; heureusement la présence de deux titres bonus tempère ce triple duo de reprises.
Parmi les intervenants, on est ravi de retrouver Ralf Jesek (In My Rosary, Derrière Le Miroir), toujours inspiré dans ses collaborations (Paul Roland, Kirlian Camera) ou encore That Summer (malgré leur patronyme, je n'avais pas fait le lien entre leur univers et celui de Douglas Pearce !).
Le visuel composé par Violet Widow est en accord avec ce que le groupe dégage : l'ancien logo des trois bâtons, la rigueur morbide, les teintes. Le fait que le tribute ait eu à souffrir un buzz négatif et que la distribution des trois cents copies physique soit réservée aux fans du label (et en parallèle le téléchargement libre sur le site d'Unknown Pleasures Records) accentuent le lien avec les travaux officiels du groupe.