Et Cold Spring revient à la charge.
Volume II pour les compilations Visions Of Darkness.
Alors si la première photographie mentale que vous vous faisiez des contrées iraniennes n’est pas exactement celle d’une ouverture à la création expérimentale et ambiante en musique, c’est sans doute parce que nous sommes – trop souvent – victimes de nos biais, nos préjugés. Cette collection de son "contemporains" n’est alors que l’énième et salvatrice invitation qui nous est faite à rester ouverts à la surprise. Elle ne manquera pas de vous en offrir. C’est la suite du premier volume, paru en 2017.
L’audace de Cold Spring ne se dément pas avec cette collection 2022. Prenant la forme d’un double-opus (digipack CD double dans son format physique), elle décline pas moins de vingt exemples d’inspiration ambiante en provenance de la république islamique présidée aujourd’hui par Ebrahim Raïssi. Un sentiment d’unité et de forte cohérence émerge au fur et à mesure de l’écoute et la réécoute de ce recueil. Il est conséquent. Objectif : ouvrir le scope ; et Cold Spring, en toute logique, a privilégié la présence de sculptures sonore de taille moyenne, maximisant la possibilité du regroupement. Les formats de cinq, six minutes dominent l’ensemble. Il y a des différences de production, des choses que vous aimerez fatalement moins que d’autres, mais pas de déchet.
Chaque proposition sonore est une aventure en soi et ce volume II se pare, soit dit en passant, d’une certaine brillance. Une recherche de spatialité et d’ouverture marque nombre de travaux (Dariush Salehpour & Zhoobin Askarieh [photo ci-dessus] avec leur hypnotique "Burnt Forest") et les ambiances de nuit sont légion (Saturn Cube en fabrique une version au reflets digitaux avec "War Cry"). Il y a aussi les épaisseurs venteuses et cosmiques (Shahin Souri – "Transmission") quand ailleurs le son prend une dimension plus abstraite et incorpore le bruitisme à des formes retenues (Vesal Javaheri, avec "Muss"). Il y aussi les restes d’une tradition, matière à transposition vers l’ambient (Negari, Shirely, Pandi – "Koohestan"). Dans une version plus ténébreuse, baignez-vous dans les reflets organiques qui percent du fascinant "Solomon's Throne" de Xerxes The Dark, lequel se décrit lui-même comme le tout premier projet dark ambient iranien.
Babak Sepanta (photo ci-dessous) lorgne pour sa part vers les squelettes du trip hop à travers une forme aux reflets psychédéliques et chromés ("Ruin is the Beginning"). Quant au projet Nyctallz, déjà présent sur le volume I, il étale des couches synthétiques en mode dark ambient. Facture classique mais une spatialité qui vous happe ("The Curse of the white Demon"). Autant de sensations et de formes diverses, dont la cinématographie opère et crée des fluctuations et mouvement subtils dans l’aventure que va vivre l’auditeur. Une aventure qui consiste aussi à s'extraire d'un agenda contraint, prendre le temps d'une respiration prolongée et de la découverte.
Et si l’écoute de moult compilations provoque un sentiment de dispersion (pas toujours agréable, la nature de ces choses nous faisant courir ce risque), c’est l’expérience contraire que vous vivrez ici. Une continuité se dégage de ces vingt morceaux, sans que linéarité s'installe. Le volume II de Visions Of Darkness est à envisager, à l’instar de son prédécesseur, comme un moment exploratoire : une visite dans les bas-fonds de cet Iran que nous ne connaissons que peu parce qu’il nous est simplement peu montré et que nous n’aurions pas idée nous-mêmes d’aller le chercher là où il se trouve. Pourtant il est là, à portée de clic, et déploie une leçon de créativité à travers une collection d’atmosphères qui envoûte et vous extraie hors du temps. Merci à Cold Spring pour l’ouverture vers le monde de ces acteurs du digital, héritiers de cette autre culture millénaire. Et merci à eux tout court pour les sensations et ces formes de beauté.