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Compilation
18/12/2024

Varsovie

Déviation

Label : Icy Cold Records
Genre : rock noir / post-punk / art-punk
Date de sortie : 2024/11/28
Note : 85%
Posté par : Sylvaïn Nicolino

Varsovie poursuit sur la lancée du très bon Pression à Froid qui les voyait revenir à des compositions plus directes, plus féroces. Rapidement, ils ont eu l'envie de rendre hommage à des titres qui les hantent. Voilà qui tombe bien car leurs goûts sont les nôtres. Le "Passion of Lovers" de Bauhaus tonne, jusque dans ses chœurs  sur le final, tout en gardant un écart avec la voix de Peter Murphy. Les guitares ont le son du passé, mais la clarté rugueuse d'aujourd'hui. La voix se fait plus narquoise, plus post-punk que façon Bowie, moins sensuelle, plus méchante et sournoise. Un uppercut et un soufflet remplacent la caresse. La suavité du refrain s'en trouve renforcée. Un deuxième tour dans l'Angleterre blafarde avec "Leaders of Men" de Joy Division. On est gâté, c'est vrai. La voix plus mature, mieux posée, donne une assise que l'original n'a pas, Curtis plus occupé à extérioriser avec son surplus de tension. Ici, musique et chant font front, ne déparent pas, donnant un impact plus collectif. Un break vient adoucir le propos, étonnant et fugace. Un titre en polonais puis français enfin avec une reprise de la formation Siekiera (sous les projecteurs après une reprise par leurs compatriotes de Behemoth). "Nowa Aleksandria" permet d'ouvrir les mesures à une lente digression instrumentale, donnant plus de complexité et de variations à la musique de Varsovie (attention à ne pas retomber dans le trop à dire).

La capacité à épouser les tics et intonations m'impressionne sur la reprise du titre de Bashung (un titre paru sur Novice, en 1989, que je ne connaissais pas). Une grande découverte qui explose totalement la langueur initiale en mode punk, avec un son de batterie à la profondeur nécessaire. C'est engagé, trépidant, noir. Un beau moment qui satisfait le "frenchy but chic" que je suis dans le fond. Et, à l'écoute de cette orchestration enragée, on sent bien cette ligne conductrice commune dans le rapport à la versification. Murat (mort en mai 2023, à Orcival en Auvergne) bénéficie aussi d'un sursaut rock'n'roll avec pédales d'effets déployé sur la guitare, en mode presque shoegaze, les lignes mélodiques se croisent, vaporeuses et foudroyées. Là où Murat se faisait douceur dans la voix, c'est la douleur qu'a choisi Varsovie. Nous ne sommes plus dans le rêve, mais dans la rage de l'avoir laissé passer (plus loin "L'Ombre et la Nuit" tirera sa ressource de cette reprise, voir infra).

Voilà donc un EP très joli. Et pourtant, Varsovie ne s'arrête pas là ; une couverture avec photo de Christophe Jacrot qui fait mouche s'ajoute au plaisir (quel visuel de Varsovie est raté ? Aucun).

Cinq titres ont été liftés pour remplir cette nouvelle sortie. Choix facile et évident : un titre par album. Celui qui donne le nom au disque. Pour asseoir le principe qu'un morceau se dépasse et devient un manifeste.

Ils ont "simplement été remasterisés par Benoît au Drudenhaus", m'explique Arnault, "pour que ça cadre". Le break d' "Etat civil" sonne enfin clairement, les guitares lead sont plus aigres. Les variations apparaissent avec cette ligne de basse prédominante pour "L'Heure et la Trajectoire". Pour moi, un énorme coup de cœur s'impose avec le travail pour "Coups et Blessures" où la guitare rythmique sonne mieux et où j'entends enfin les cymbales. Illusion auditive ? En partie car bien sûr il ne faut pas comparer avec ce qu'on peut entendre sur internet (compression oblige) mais aussi affaire de contexte. On redécouvre un morceau dans un ensemble, en fonction de ceux qui le précèdent et qui le suivent. Ici, je comprends qu'il bénéficie de l'onde donnée par Joy, Bauhaus et Bashung. Il se place dans la lignée. Oui, dans la lignée ; ce n'est pas rien comme assertion.

Et puis, il a cette rage que je pensais perdue sur cet album et le suivant (2018-2021), une colère brute qui est rehaussée rétrospectivement par la connaissance de Pression À Froid, album qui m'a marqué. Ecouter un groupe album après album, y revenir, c'est comme revoir un film, relire un livre, se souvenir de bons moments : la capacité à savoir ce qui se passe après réajuste notre regard, lui fait voir du neuf, quitte à lui donner cette illusion de neuf. L'objet se transforme, s'éclaire d'une dimension temporelle qui ne pouvait pas avoir ; il baigne dans un bain de causalité avec les objets subséquents, sa place et son rôle se trouvant renforcés, un sens lui étant agrégé sans rien avoir pourtant ajouté à sa formule. Trois des cinq titres ici repris fonctionnent à plein avec ce principe émotionnel. 

Un autre élément joue cependant, même minime, ce mastering crée du neuf. Pour le groupe qui a entendu son morceau des centaines de fois dans toutes les formules possibles (répétition, live), cela ne fait que peu de différences, pour moi qui n'en connaît qu'une version, immuable, gravée dans le vinyle, le moindre écart crée le vacarme d'une explosion. 

Très bien composée, cette compilation double objectif est à la fois une rétrospective et une entrée délicieuse dans l'univers de Varsovie.

Tracklist
  • 01. The Passion of Lovers (Bauhaus cover)
  • 02. Légère Eclaircie (Alain Bashung cover)
  • 03. Leaders of Men (Joy Division cover)
  • 04. Les Jours du Jaguar (Jean-Louis Murat cover)
  • 05. Nowa Aleksandria (Siekiera cover)
  • 06. Etat civil (titre de 2008, remaster)
  • 07. L'Heure et la Trajectoire (titre de 2014, remaster)
  • 08. Coups et Blessures (titre de 2018, remaster)
  • 09. L'Ombre et la Nuit (titre de 2021, remaster)
  • 10. Pression à Froid (titre de 2023, remaster)