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Album
06/11/2023

Varsovie

Pression À Froid

Label : Icy Cold Records
Genre : rock post-punk de dandy énervé
Date de sortie : 2023/10/06
Note : 90%
Posté par : Sylvaïn Nicolino

Cinquième long format pour Varsovie. Il faut d'abord dire la joie qui nous saisit de partager ces années avec ce groupe, d'avoir su saisir ses balbutiements à l'époque des sites myspace, d'avoir découvert leur premier long format et depuis de les retrouver à intervalles réguliers avec de nouvelles compositions.

Le savoir-faire est là, manifeste, ouvrant avec un tube imparable ce Pression À Froid. La voix grave, le chant scandé, poétique, soutenu par un rock énergique et noir, bien ancré dans un registre cold-rock encore imprégné de l'urgence punk et des brusques variations post-punk répétitives (break imparable) dès le liminal "Perspective Nevski". On aimerait juste que Grégory le chanteur se mette à crier son désarroi aux trois minutes mais, malin, celui-ci laisse les guitares rugir en couches superposées, créant un brouillage, un nappage brumeux et électrique, reléguant à la dernière seconde le timbre soudain isolé, glacial... terriblement humain.

Les rythmiques se font débonnaires, dansantes, secondées par la voix qui scande, soulevant le bassin, presque ironique dans sa manière d'aborder "Pochodeň číslo jedna" alors que le désespoir est là ! C'est que, dans l'ADN de Varsovie, frétille cette vie qui souffle dans la chute, ces secousses au sol, malgré la noirceur (ils le disent : "le cadavre bouge encore"). Le procédé bondissant sculpte aussi le dance-goth "Structure", comme une EBM rock'n'roll sur rage poétique. Le travail créatif s'inscrit, précieux et dense, naturel dans la symbiose entre les deux hommes. Cette position orageuse entre agitation et dépression irradiait les débuts de ce qui ne s'appelait même pas encore coldwave, chez Joy Division notamment. Les initiés songeront aussi à The Cure au démarrage d'"Artefacts" : la batterie de "Cold" est évoquée, avec un hommage en plus aux écarts de notes de sa basse ; chez Varsovie on aime jouer, pince-sans-rire, et tester les auditeurs, ces happy-few comme les nommait Stendhal. La maîtrise d'"Artefacts" est parfaite, sublimée par les déliés acides de sa guitare, très gothique pour le coup, voire death-rock diront les spécialistes.

On ne met pas ses émotions dans les mêmes effets et si les rythmiques sont enjouées, alors la guitare pleurera. Et si la rythmique se tape un sprint, les couplets calmeront le jeu en maintenant la tension à haut niveau de voltige ("Sous les Radars"). Les compositions ont été resserrées, moins ouvertes et complexes que sur Coups Et Blessures et L'Ombre Et La Nuit : c'est bien la basse et le chant qui mènent la danse, permettant à la guitare de broder et de créer des volutes inspirées car minimales plutôt que des épanchements plus volubiles et moins percutants. Cela donne une rage plus contenue et plus intense, qui se met à claquer comme lorsqu'un verre se brise ("Synesthésie"), repris par les cymbales. Le jeu de la batterie est très descriptif, bien présent au mixage et mieux exploité que la moyenne des productions : on sent le soin qui a été apporté pour que chaque son de l'instrument se positionne dans le spectre sonore. Comme pour la guitare, la simplicité mélodique  affichée ouvre de l'espace à ces deux instruments, évanescences et astuces aisément perceptibles et qui raviront même les non-musiciens. La construction englobe la répétition pour en faire un voyage, créant des turbulences et des étapes comme les stations d'un Christ en chemin vers sa gloire. En fin de disque, un nouveau travail de création sonore anime les riffs de la guitare sur "The Ghost of Kyiv", modifiant la formule hégémonique du disque : forcément, sur ce morceau, c'est une autre voix qui vient nous interpeller, celle d'une réfugiée ukrainienne. Longue intro et tournures plus typées du rock héroïque, entre jeu vidéo et épitaphe soignée.

Les paroles retrouvent la beauté des slogans, ces vers qu'on peut dissocier et faire siens, qu'on aimerait lire tagués sur les murs désaffectés ("Jusqu'au seuil de l'obscurité" / "Des ombres à perte de vue" / "Les écoutes sur les murs ne te retiendront pas"...). Le parolier Arnault (qui n'est pas le chanteur) s'appuie sur Kafka, Charnetsky, Gogol, Rimbaud et des résistants (l'aviateur fantôme ukrainien, l'étudiant Jan Palach) pour composer ses poèmes-récits-tableaux-harangues.

On ne terminera pas sans évoquer la pochette, une nouvelle fois monstrueuse d'élégance. On avait eu droit à divers êtres humains et cette fois, le noir et blanc met en scène un chat opalescent sur fond forestier sombre, comme ceux affectionnés par le black metal (on connaît les liens du duo avec cette scène), mais avec une surprise, un temps figé, ni prédateur, ni proie, en attente de quelque chose que l'appareil du photographe Sotiris Lamprou a tenté de saisir. La résurgence d'une sauvagerie non apprivoisée.

Tracklist
  • 01. Perspective Nevski
  • 02. Pochodeň číslo jedna
  • 03. Synesthésie
  • 04. Artefacts
  • 05. Sous les Radars
  • 06. Structure
  • 07. Pression à Froid
  • 08. The Ghost of Kyiv