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Arkhive
07/01/2020

Vaughan Oliver (4AD, v23)

Interview Obsküre #20 (2014)

Contexte : Hommage - Republication de l'entretien exclusif d'Obsküre Magazine avec l'artiste (2014)
Posté par : Mäx Lachaud

EN HOMMAGE A VAUGHAN OLIVER, CET ARTICLE EST EXHUMÉ DES ARCHIVES PHYSIQUES D'OBSKÜRE MAGAZINE (#20 - MARS / AVRIL 2014)

Le nom de Vaughan Oliver reste indissociable de la grande époque du label 4AD dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, quand Ivo Watts-Russell menait avec beaucoup de sensibilité toute cette écurie. La réputation, voire le succès, de certains groupes n'auraient pas été les mêmes sans ces pochettes poétiques et mystérieuses, à la fois organiques et surréalistes, mêlant hotographie, typographie, graphisme et tout un tas de textures fascinantes, en faisant des objets tactiles précieux.
De Cocteau Twins aux Pixies, il a suivi de nombreux artistes prestigieux et a pu offrir ses talents à des personnalités aussi diverses que David Sylvian, David Lynch ou le dernier projet de Simon Raymonde, Snowbird. Suite à la parution du livre
Facing The Other Way: The Story Of 4AD de Martin Aston et aux éditions limitées luxueuses parues ces dernières années (Breeders, Pixies, This Mortal Coil), il était grand temps de nous entretenir avec ce graphiste influent.

CONTEXTE
Il faut dire que cette interview, on la voulait mais on n'y croyait plus trop. Autant Ivo Watts-Russell est quelqu'un qui sait se rendre disponible et avec qui on peut parler pendant des heures, autant Vaughan Oliver est plutôt du type overbooké. Un emploi du temps infer-nal. L'entretien téléphonique ayant été repoussé maintes fois, nous avions un peu baissé les bras. Puis, deux jours avant Noël, je rentre d'un apéritif qui avait un peu tardé, et je découvre un message électronique de Vaughan, me proposant de l'appeler tout de suite. Le courrier avait été envoyé vingt-sept minutes plus tôt. Je me dis que je lui confirme d'abord par écrit avant de composer son numéro. À ce moment même, mon ordinateur se bloque, impossible d'écrire ou faire quoi que ce soit. Tant pis, j'appelle. Il me demande de rappeler dans cinq minutes et je me dis que le cirque va recommencer et que la discussion n'aura pas lieu. Mais j'avais tort. Il me demande d'abord quel est le mot français pour "trousers". Je lui réponds "pantalon" et il me précise qu'il préfère faire des interviews avec un pantalon sur lui. C'est pourquoi il préfère que je rappelle. Il se questionne d'ailleurs sur ma propre tenue au moment du coup de fil et si ça m'arrive de discuter au téléphone sans pantalon. Le ton est détendu, drôle, surréaliste. Vaughan Oliver avait la réputation d'être plutôt rigolard, fantasque et perché. Ces premières minutes me le confirment. Je sais d'emblée que je ne vais pas avoir de grandes discussions sur le sens de l'art comme avec Watts-Russell et que les choses vont être plus imprévisibles. Et elles le seront. Car si Vaughan a envie de parler, je sens bien que le jeu des questions-réponses ne l'intéresse pas, surtout quand il s'agit d'aller fouiller dans le passé. Puis il m'avoue la raison de son e-mail : "Tu sais ce que je célèbre ce soir ? C'est ce qui m'a rendu heureux et m'a ouvert l'esprit à une conversation. Je n'avais personne à qui en parler à part toi. On vient de me livrer l'édition limitée de Facing The Other Way. C'est drôle, quand tu es graphiste, tant que tu n'as pas la chose entre tes mains, ce n'est pas complet. Tu fais les épreuves, le design, mais il y a deux heures j'ai tout reçu d'un coup. Je suis si excité. Je me dis que ça a été une bonne année, il y a aussi eu l'édition limitée des Breeders : LSXX (Last Splash 20 Years Anniversary Edition). C'est sûrement une des meilleures choses que j'ai faites. Tout comme le travail que je fais pour les Pixies. C'est donc bizarre pour moi de parler des choses datant d'il y a vingt ou trente ans, car cette année a été la meilleure de toute ma carrière."
Malgré cela, je persiste et arrive à l'amener vers son travail antérieur, avant que tout ne soit stoppé à l'évocation d'une pochette en particulier de His Name Is Alive (NDLR : l’EP Universal Frequencies sur le dos duquel on peut voir Vaughan Oliver en tenue de marié) et que la fatigue prenne le dessus.

DU PROG AU POST-PUNK
Après avoir échangé quelques anecdotes, parlé de la presse en France ou encore de son déménagement il y a à peu près cinq ans à Epsom, dans la région du Surrey, non loin de Londres, nous en revenons à ce qui l'a motivé à se lancer dans l'art des pochettes de disques : "Je suis né à une autre époque que la tienne. C'est un peu là que tout a commencé pour la pop music. Est-ce que tu serais d'accord avec l'idée que la pop a commencé en 1957 avec Elvis et les débuts du rock’n’roll ? Eh bien, c'est l'année de ma naissance. Ce qui est fascinant, c'est que cinquante ans plus tard il y a cette histoire culturelle sérieuse. Alors qu'au début, on ne se serait jamais douté que cela deviendrait si important culturellement, des années plus tard. J'ai donc grandi dans les années soixante et soixante-dix. Quand j'étais ado, j'étais fan de Roxy Music. Surtout de leur premier album de 1972. Pas ce qu'ils ont fait après, qui est devenu trop sophistiqué pour moi. C'était si éclectique sur le plan musical. C'était si glam, si rock’n’roll, et c'était un des premiers groupes d'art rock. En même temps, je m'intéressais au rock progressif : King Crimson, Emerson, Lake & Palmer, Yes, etc. Les pochettes de Yes me parlaient, en particulier. Le groupe n'apparaissait jamais dessus, elles donnaient autre chose à voir."
Ces références sont pour le moins aux antipodes des formations postpunk, gothiques et new wave avec lesquelles l'artiste allait travailler au début des années quatre-vingt : "C'est vrai, mais c'était l'idée d'utiliser l'imagination et de ne pas avoir les visages des musiciens sur la pochette. Il y avait un fantastique illustrateur, Roger Dean, qui faisait les leurs. Il m'a beaucoup influencé je pense. Adolescent, j'aimais Salvador Dali aussi ; et je me suis dit : 'hey j'aimerais faire ça !' Cela combinait mes deux passions : la musique et l'art."

UNE RENCONTRE DÉCISIVE
Après ses études, Vaughan Oliver déménage à Londres et, à force de se voir dans les mêmes concerts, il sympathise avec Ivo, qui lance alors un tout nouveau label sous la houlette de Beggars Banquet, puis avec Modern English, pour lesquels il va réaliser sa première pochette avec le single "Gathering Dust" : "Tout s'est passé en même temps. Déjà, j'ai eu la chance de naître en 1957, et d'avoir vécu toute la révolution punk. C'est arrivé quand j'étais à la fac et ça a changé le monde. L'esthétique punk ne me plaisait pas, mais l'attitude du do it yourself a changé les choses profondément. C'était une réaction contre tout ce qui se passait à l'époque. Puis tous ces labels indépendants se sont lancés. Et 4AD a débuté. J'ai rencontré Ivo dans les concerts, on aimait les mêmes groupes. Et je lui ai dit que pour son label, il avait besoin d'un logo, d'une identité graphique et tout ça. C'était en 1980. J'ai eu de la chance d'être là à ce momentlà. Mais je n'étais pas le seul. Il y en avait beaucoup d'autres qui faisaient ça, comme Peter Saville pour Factory, et un autre pour Mute. C'était une opportunité fantastique pour de jeunes graphistes que de travailler avec ces compagnies de disques indépendantes, qui voulaient toutes une sensibilité visuelle."

Le travail de Vaughan Oliver se concrétise en 1981 avec la création de 23 Envelope, avec le photographe Nigel Grierson. Une collaboration qui durera jusqu'en 1987. La première fois que le patronyme apparaît, c'est sur la couverture du Mesh & Lace de Modern English, où le style est déjà très abouti. Vaughan Oliver sera définitivement embauché au début de l'année 1983 à l'époque du premier album de X-Mal Deutschland. Quasiment tous les artistes du label bénéficieront de leurs visuels, de Colourbox à Clan Of Xymox en passant évidemment par Throwing Muses, Cocteau Twins ou This Mortal Coil.
Par la suite, v23, comme il se faisait appeler, collaborera avec divers photographes, dont l'un des plus marquants est Simon Larbalestier pour certains travaux mémorables avec Pixies ou Red House Painters. Mais même si la relation entre Ivo et Vaughan a été comparée à celle entre Tony Wilson et Peter Saville pour Factory, il pense en être graphiquement l'antithèse : "J'ai adoré ce qu'il faisait. Ce qui était fantastique à cette période, c'est que les gens anticipaient. À quoi ressemblera le prochain album de Joy Division ? À quoi ressemblera le prochain Cocteau Twins ? Il y avait une prospective incroyable pour ce qui était des pochettes, que l'on n'a plus aujourd'hui. Quant au travail de Peter Saville, c'était l'opposé complet de ce que je faisais. Il était plus cérébral, plus sec. 'Froid' est un bon terme. Nous étions plus passionnés, romantiques, intuitifs."

LA MÉTHODE
La méthode de Vaughan Oliver est simple, elle se base avant tout sur l'écoute et le dialogue : "Tu fais ta recherche. Et ta recherche c'est : écoute la musique, lis les paroles et parle au groupe. Je suis très fier de cette méthode. Quand je travaillais avec les artistes de 4AD, ce n'était pas à propos de moi. Ce qui comptait, c'était ce qu’ils voulaient mettre dans leurs visuels. Ce qui était fantastique avec eux, c'est qu'ils ne voulaient pas leurs portraits sur les disques, ils voulaient explorer leur propre musique. Donc je leur posais des questions sur leur propre idée de la musique qu'ils faisaient, les peintures qu'ils aimaient, les films qu'ils appréciaient, afin d'avoir un background. Je voulais juste refléter l'atmosphère de la musique. On ne peut pas s'attarder sur chaque chanson, on donne juste une vibration générale de l'ensemble. Pour que, quand tu te rends au magasin, ça te donne une impression de ce que le disque contient. Pour un graphiste, c'est facile de faire des pochettes intéressantes, avec une image et une typo fantastiques… Mais si ça n'a pas de lien avec la musique, à quoi bon ? S'il n'y a pas de connexion avec le contenu, ça ne vaut rien. Je veux faire quelque chose qui a de la substance et qui connecte ces deux choses : la musique et le design graphique. Ça marche très bien par exemple avec le premier album de Red House Painters, Down colourful Hill. Pourtant, ce visuel a été si simple à produire. L'image était déjà là, je l'avais vue dans le travail de Simon Larbalestier. Et la typo était très simple aussi. En général, quand je travaille sur une pièce, je change sans arrêt, et celle-là est allée très vite. Il faut que ça connecte. Ça connectait avec Cocteau Twins. Comme avec Pixies ou ce Down Colourful Hill."

Parfois des influences ou des liens avec les travaux d'autres artistes ont pu être notés. Les disques Sunburst & Snowblind et Head Over Heels de Cocteau Twins s'inspiraient ouvertement de Tarkovski, alors qu'on a pu comparer le premier mini album des Pixies, Come on Pilgrim, à du Joel-Peter Witkin : "Il faut être inspiré sur un plan personnel, mais Lush, par exemple, ne collait pas avec mes propres influences. Quand je suis allé les voir jouer au début, j'avais des vagues de couleurs en tête. J'ai fait alors appel au photographe Jim Friedman. En tant que graphiste, tu apportes tes influences, mais tu es en même temps complètement conscient du groupe et de ses propres influences."
Autre exemple : pour l'album Tocsin, X-Mal Deutschland souhaitait créer une idée de tonnerre avec des plumes noires, car le tocsin peut annoncer le danger d'une tempête. Au final, l'effet sera rendu par des couleurs et des ailes de pigeon : "Ça devient abstrait. Nos pochettes n'étaient pas des représentations littérales de la musique. Une des maximes ou un des axiomes que j'utilise c'est : 'suggérer c'est créer, décrire c'est détruire.' C'était l'idée de laisser la musique ouverte à l'interprétation."

JEUX PERVERS ET LIBERTÉ RELATIVE
L'art de la pochette de disque a cet avantage d'être démocratique. C'est de l'art accessible à tout le monde, même si les choses tendent à changer aujourd'hui. Vaughan avoue d'ailleurs sa frustration quant à une industrie qui se limite à des vinyles en éditions limitées et où l'on ne peut plus développer toute une ligne graphique à travers des formats plus courts comme l’EP par exemple. Cela dit, il ne faut pas fantasmer son rôle au sein de 4AD. Sa liberté était toute relative : "Je présentais trois ou quatre différentes propositions aux groupes, mais je leur demandais toujours à la fin ce qu'ils voulaient. Je n'ai jamais fait de pression sur les gens. Ils regardent le travail, trouvent ça tellement fou et barré, et pensent que j'avais une liberté totale, alors que pas du tout. Je n'étais pas libre, tout était dans la conversation. Est-ce que vous voulez ci et ça ? Vous n'avez pas à accepter si ça ne vous plait pas, je leur disais."
Dans tout son corpus, on peut compter sur les doigts d'une main les couvertures pour lesquelles il s'est servi du physique des musiciens. Un disque mérite quand même que l'on s'y attarde, le deux titres Incubus Succubus de X-Mal Deutschland : "Elles étaient de très jolies filles. Donc on s'est dit, faisons une couverture avec de jolies filles qui se couvrent toutes le visage. C'est pervers. Et on retrouve cette idée dans tout mon travail : faire quelque chose de beau, puis le camoufler. C'est crucial dans tout ce que je fais."

LES OUBLIÉS ET LES FRUSTRATIONS
Même si l'on associe Vaughan Oliver en permanence au travail fourni pour 4AD, il a pu travailler, dès les années quatre-vingt, avec des formations non signées sur le label, dont The Sound, Psychedelic Furs ou encore David Sylvian. Au sein des productions récentes, il avoue être très fier de celles pour I Break Horses et du premier album de Snowbird. Concernant les autres artistes moins célèbres pour lesquels Vaughan Oliver a fourni des graphismes, il s’avère très content de sa réalisation pour Ultra Vivid Scene : "C'est sûrement un des meilleurs groupes pour lesquels j'ai travaillé, et c'est aussi une des personnes les plus intelligentes que j'aie rencontrée. Il n'est plus vraiment dans la musique, il enseigne le cinéma à présent, mais ça reste passionnant. Cherche Kurt Ralske sur le Net, tu verras ! (N.D.L.R. : retnull.com)."

Parmi les autres grands noms avec lesquels Vaughan Oliver a pu collaborer, difficile de faire l'impasse sur David Lynch. Pourtant, il ressent beaucoup d'amertume quand il en parle : "Je ne l'ai jamais rencontré, je ne lui ai jamais parlé et pourtant, j'ai fait une pochette fantastique pour Good Day Today. C'est sûrement une des plus grandes déceptions de ma vie. C'était un de mes héros, mais mes agents ont parlé aux siens, et on n'a jamais échangé un seul mot. C'est terrible. J'ai lu plusieurs interviews de lui où on lui parle de Vaughan Oliver, mais il ne semble même pas savoir qui je suis."


> À VOIR, ÉCOUTER ET LIRE
- MARTIN ASTON - Facing the other Way: The Story of 4AD (The Friday Project) (2013)
- THE BREEDERS - LSXX (Last Splash XXth Anniversary Edition) (4AD) (2013)
- THIS MORTAL COIL - Boxset (4AD) (2011)
- THE PIXIES - Minotaur (Artist in Residence) (2009)