La destruction mène à la création, assument-ils. L’alchimie ne donne-t-elle pas à passer d’un état à l’autre ? Après tout ils ont bien détruit leur premier projet, Holy Machine… Détruire pour créer : principe espérance et contenant une violence, énergie rentrée et qui se meut dans ces chansons aux reflets acoustiques aérés, pour ne pas dire aériens.
Quelque chose touche profondément dans ce neofolk parisien. Sa simplicité en même temps que sa force d’esprit. Réverbération qui auréole les voix, litanies qui touchent au cœur sans jamais s’encombrer de manières. La narration contient pulpe noire, et l’on ressent très fort une unité de groupe sur Wasteland : les chansons de ce deuxième album coulent comme une rivière. Tout est pesé, posé. Le dépouillement des chansons leur donne leur beauté et ce n’est sans doute pas pour rien s’ils ont partagé la scène avec des gens comme :Of The Wand & The Moon:. La force principale de Vesperal est donc, sans doute, dans l’apparence simple des choses. Prenez ces aplats minimaux qui épaississent le final du titre éponyme. Qui ne serait pas touché par ça ? Ne pas se tromper, néanmoins : la simplicité est souvent le contraire de ce qu’elle paraît. Rien de facile là-dedans, le contraire de la gratuité. Étaler au fond, rien de plus simple si l’on sait faire. Parvenir à l’ossature, l’essentiel : voilà le vrai travail.
Et Vesperal réussit un petit tour de force : coucher des mélodies qui, non contentes d’être fortes, ont force de proposition poétique. Le groupe est attaché aux sons anciens, à la vibration du vivant : le fait que des humains soient à la source. Le recours aux outils modernes pourra éventuellement servir cette vibration et un feeling aux racines enfouies, dirons-nous, dans les années 1980. Mais leur méfiance, pour ne pas dire leur rejet de la primauté des filtres, fait loi en ces paysages. Des gens de leur sérail artistique (les Toulousains Solventis ou encore Lisieux, dont un nouvel EP sort sur Steelwork Maschine) peuvent être perçus comme tenants d’une école voisine. Une espèce de famille, dont certains membres participent à la nouvelle aventure. Lisieux apparaît sur "The Poacher".
Dans son mode opératoire comme dans certaines des valeurs qu’il met en œuvre dans l’expression musicale, Vesperal s’inscrit à contre-courant tout en suivant un instinct. Quand bien même le cristal acoustique éparpille ses éclats sur Wasteland et forme paysage neofolk, on n’a pas le sentiment qu’ils entendent passer par les chemins obligés. Tracer sillon, exister, affirmer identité de groupe : c’est ce qui se passe. Rassérénant. Les chansons se retiennent, le viscéral les motive et trouve un début d’explication dans l’entrevue donnée pour le premier album, fin 2017, au webzine Mithra Temple. Où mieux saisir les origines de cette "vision morose du monde" et ce sentiment qui imprègne encore et toujours à l’écoute de Wasteland : ces mélodies sont celle d’une nuit qui tombe, fruits de la perception d’un monde en déclin. Elles témoignent d’un ressenti et leur enveloppe, quoique charnelle, a une portée anxiogène.
Vesperal, après Conqueror Of Emptiness (2017), a pour lui d’avoir su confirmer son potentiel sur deux formats longs. Le stade de l’essai est largement dépassé, une identité s’affirme. L’éther baigne les guitares mais ce bain n’est pas pure austérité : le son déploie une sensualité. Il en résulte une collection en clair-obscur, un sentiment de complétude passée par une étape de conscientisation de l’état du monde. Rien à jeter. Un bijou.