Vesperine est un quintette lyonnais affilié au courant post-metal. Depuis quelques années, il n’a cessé de croître et la puissance et l’intensité de ses compositions, progressivement, se sont faites remarquer. 2019 est à n’en pas douter un moment charnière dans leur carrière, puisque les cinq hommes ont sorti en mars Espérer Sombrer (Apathia Records), leur premier long format, qui succède à l’EP Parmi Les Autres (2015). Enregistré en conditions live à The Apiary Studio (Laval), l’album révèle tout le talent du combo. Son apparente noirceur sert néanmoins un propos positif et chaque titre est marqué du sceau de l’excellence et de la rigueur.
Nous les avons tous rencontrés - sauf Loïc, le second guitariste - un mois après la fin de la première partie de leur tournée. Au cours d’une entrevue d’une heure, nous avons évoqué leurs débuts, la réalisation de l’opus, les concerts récents et ce sentiment affirmé d’unité en tant que groupe. Entretien avec Rémi Lasowy (chant), Pierre Prunier (guitare), Jérémy Piffady (basse) et Aurélien B. Tosolini (batterie).
Obsküre : Tout d’abord, pouvez-vous présenter le groupe ? Quelle est l’origine de votre nom ?
Pierre (guitare) : Le Vesperine actuel existe depuis fin 2014-2015. Aurélien, Rémi et moi faisons de la musique ensemble depuis les années 2000 au sein de différents groupes. Jérémy nous a rejoints en 2013, et Loïc (NDLR : second guitariste) fin 2014.
Rémi (chant) : Quant au nom Vesperine… Il s’agit d’un vieux prénom féminin, on trouvait ça cool de prénommer le groupe. Aussi, on aimait bien le mot 'vespéral', donc on a associé les deux axes !
Vous avez sorti l’EP Parmi Les Autres en 2015 et votre premier format long Espérer Sombrer cette année. Quelle a été l’évolution du groupe selon vous en quatre ans ?
Jérémy : Tout d’abord, nous avons digéré le fait d’être enfin stabilisés. De mon côté, il a fallu que je m’adapte au groupe et aux musiciens. On a changé deux fois de guitariste après que je sois arrivé, Loïc s’est inscrit dans le long terme, mais nous avons dû apprendre à nous connaître et à jouer ensemble, c’est un processus long. Durant ces quatre ans on a développé la personnalité de Vesperine en tant qu’entité composée de nous cinq, c’est une chose que l’on a ressentie pendant notre dernière tournée. On commence à bien se connaître, du coup quand le groupe arrive sur scène et qu’on joue, nous sommes Vesperine.
Rémi : Parmi Les Autres était une sorte de carte de visite pour pouvoir nous faire entendre. Sur cet EP, il n’y avait pas tous les membres du groupe tel qu’il est aujourd’hui.
Jérémy : Espérer Sombrer reflète cette unité. Tout est discuté et rediscuté collectivement : le choix des riffs, des ambiances, des différents passages, des transitions, ainsi que la façon dont nous composons, etc. Ainsi, chacun de nous est absolument convaincu et sûr de ce qu’on a produit à 99 %. Le 1 % restant étant une toute petite zone de concession.
Vous avez entre-temps signé chez le label plutôt éclectique Apathia Records à la fin de l’année dernière. Quels changements concrets cela vous a-t-il apportés ?
Jérémy : Pour Espérer Sombrer on voulait chercher un label, mais on se demandait quand : avant ou après l’enregistrement ?... Les personnes avec qui nous avions discuté de ça nous disaient qu’un label n’allait pas financer l’enregistrement, il fallait qu’on ait quelque chose à faire écouter. On a injecté nos économies dans l’enregistrement studio comme on voulait en se disant qu’on chercherait un label après. Plusieurs maisons de disques étaient intéressés par Vesperine mais étaient déjà bookées. Certains labels en Allemagne, en Angleterre, étaient prêts à faire une coédition. Dans le lot nous avions aussi contacté Apathia et Jehan (NDLA : Fillat, patron du label) nous a répondu une quinzaine de jours après, nous disant qu’il fallait qu’on se rencontre et qu’on discute. Quand on a bu un coup avec lui, on a discuté pendant une heure/une heure et demie de musique, mais très peu de l’album. À la fin de la discussion il nous a simplement dit qu’il prenait l’album et qu’il se chargerait des éditions physiques, de la distribution. On avait tellement de mal à réaliser qu’un label allait autant investir qu’on était, je pense, tous un peu incrédules, alors que pour lui ça coulait de source.
Aurélien : Jehan et Apathia étaient aussi enthousiastes que nous sur le produit, voire plus.
Jérémy : Une fois qu’on a regardé un peu ce qu’ils avaient sorti, nous nous sommes dit que ce serait un label sur lequel on devrait pouvoir se sentir bien, car ils font plein de choses de qualité.
Comment s’est passé le processus de composition ? Avez-vous mûri les titres sur une longue période ?
Pierre : Les titres plus courts proviennent de la gamberge de l’album d’avant. Les deux "Immensément", qui représentent le noyau de l’album, ont été pensés en amont. On avait déjà les riffs, on a filé un truc tout au long de l’album, ce qui ne s’entend pas forcément.
Jérémy : Pour te donner un ordre d’idée, il y avait un titre et demi déjà bien entamé au moment où l’on a enregistré Parmi Les Autres, que l’on avait intégré dans le set dès cette époque-là. Les toutes dernières modifications ont été faites trois semaines avant d’entrer en studio à Laval, chez Amaury (NDLR : Sauvé, de The Apiary Studio). Lorsqu’on est arrivé, le groupe avait vraiment 95-98 % de l’album composé. Nous sommes partis trois jours faire des pré-productions, lui avons montré ce qu’on voulait enregistrer, et le groupe a passé pas mal de temps à débriefer avec lui pour comprendre ce qui fonctionnait bien et ce qui le faisait moins. Il nous a très clairement dit que l’album était tellement réfléchi qu’il n’y avait plus grand-chose à dire sur les compos. En revanche, il y avait des choses à améliorer sur la façon dont nous pouvions interpréter les morceaux. Dans l’ensemble on est à peu près incapables de bosser dans l’urgence, nous avons besoin de prendre le temps de faire tout reposer, calmement – de réfléchir, remodeler, etc.
Qui est à l’origine de l’écriture (musique, paroles) ?
Jérémy : Pour les textes, c’est Rémi qui a les idées, les premières envolées, très abouties. Ils sont relus, un peu rediscutés, il y a quelques petits ajustements. Musicalement, ce sont plutôt les guitaristes qui vont apporter un ou deux riffs qu’on va commencer ensemble à trifouiller. On essaie de mettre tout cela en adéquation avec les textes.
Pierre : Les paroles viennent à 99 % avant la musique.
Rémi : Pour l’album nous avions quand même un concept de base, on savait où on allait.
Quel a été le moteur de cet album ?
Rémi : J’ai du mal à expliquer les choses autrement que par les paroles. Il y a plein de phrases un peu catchy dans l’album, comme "dans l’autre monde le sombre est un allié", que l’on peut retenir assez facilement et qui représentent pour moi le résumé parfait de ce qu’on veut dire dans cet album : on peut trouver la lumière dans l’obscurité, et il faut l’embrasser.
Aurélien : Nous jouons avec les contrastes et on aime ça. Quand on joue, quand on compose et qu’on écoute de la musique, on est intéressés à chaque fois par le relief. Pour moi, la violence qui éclate le plus, c’est celle qui vient alors que tu as un semblant de sérénité.
Jérémy : Tous ces trucs actuels où ça frappe dans tous les sens, c’est tellement chiant… ça ne m’intéresserait pas de jouer ces choses-là. On est tous un peu habités, même si cela peut paraître galvaudé de le dire de cette manière. Nous sommes tous imprégnés de ce qu’on a voulu mettre dans cet album parce qu’on l’a vraiment fait mûrir. Quand on le joue, on sait ce qu’il signifie ; du coup, on peut lâcher prise sur scène.
Vous avez fait une tournée de promotion au printemps. Quelles ont été les réactions des publics ?
Rémi : On a un public très sage, presque un peu anesthésié. Le retour qu’on a, c’est : "putain vous m’avez fait voyager."
Aurélien : À titre personnel, je préfère entendre le silence entre les morceaux plutôt qu’un mec qui applaudit alors que le morceau est en plein milieu et qu’il y a un blanc exprès.
Rémi : C’est pour cette raison aussi que nous avons décidé de ne pas parler entre les morceaux. On cherche à ce que les gens s’évadent. Nous essayons de faire quelque chose de cohérent de A à Z, parler entre les morceaux casserait notre dynamique.
Comment s’est organisée la tournée ? Quelques anecdotes ?
Jérémy : À part une date risquée sur la frontière luxembourgeoise, il y avait du monde le reste du temps et on a vendu un peu de merch systématiquement. Globalement ça s’est super bien passé jusqu’au jour off entre Volmerange-les-Mines (Lorraine) et le concert de Lille. On avait réservé un petit Airbnb à Lille histoire de passer une soirée tranquille avec le groupe SunStare, des copains avec qui nous devions jouer le lendemain. Mais le van a eu une panne d’injecteur à quinze kilomètres de Luxembourg-Ville (NDLA : nos vaillants gaillards ont réussi à trouver une solution) ! Nous avons joué les trois premières dates (Nantes, Paris, Cologne) avec Zapruder, des collègues de label avec qui on devait faire plus de dates, mais à cause des difficultés à trouver des engagements en Allemagne, ils ont décidé de partir dans les pays de l’Est et nous ne pouvions pas suivre sur une semaine. On s’est retrouvés au bout de deux semaines pour un concert au Hard Rock Café de Lyon à la fin de la tournée.
On vous classe dans la catégorie post-metal. Quels liens avez-vous avec cette scène au niveau hexagonal mais aussi mondial, et au-delà avec les autres scènes 'post' (vous avez notamment participé au Lyon Post-Rock Tour) ? Quelles sont vos meilleures influences selon vous ?
Jérémy : On a mis assez longtemps à se dire que "post-metal" était finalement une plutôt bonne définition. Sinon on commence à connaître quelques groupes et à sympathiser, via Facebook par exemple.
Aurélien : Le post-rock n’est pas une de nos influences majeures, mais c’est un courant vers lequel on peut se rapporter aussi. L’avantage et l’inconvénient de la musique qu’on fait c’est que Vesperine est difficilement classable : soit on est un peu trop, soit on n’est pas assez… Pour du post-rock ça va être un petit peu trop violent, pour du post-hardcore ça ne va pas l’être assez… Du coup, on peut jouer avec des groupes affiliés à ces styles.
Rémi : Nous ne cherchons pas à coller à une étiquette, mais plutôt à trouver une intensité. Cela ne me dérangerait pas de jouer avec un groupe, au hasard de rap, s’il y a une intention, plutôt que de côtoyer des formations plus grosses que nous qui œuvrent à peu près dans le même style. Il y en a beaucoup qui prennent huit heures de gros son dans la gueule au Hellfest et ça ne les dérange pas ! Parfois des groupes que j’adore me fatiguent au bout de trois chansons. On se lasse vite des choses.
Jérémy : Ce qui nous rassemble dans nos goûts, c’est ce sentiment que le groupe propose quelque chose de sincère.
2019 est une année importante pour Vesperine. Sortie d’album, tournée, distribution du coup importante (FNAC, Spotify…). Quels sont vos projets à court et moyen terme ?
Rémi : Pour le court terme, on s’est remis à la composition. On va faire ça jusqu’à ce qu’on reparte pour la tournée "L’Immensément Noir, Part 2" (novembre-décembre). Début 2020, nous recommençons encore à composer. Au printemps-début d’été, on enchaîne sur la troisième partie de la tournée. On n’enregistrera pas avant deux ans je pense.
Jérémy : En novembre-décembre, Vesperine jouera en Italie, Belgique, Espagne (Barcelone), Suisse et France.
Aurélien : Faire entre une et deux dates par mois, c’est cool. En plus on a déjà des pistes pour 2020. On a envie de composer et jouer de nouvelles choses, parce que la phase d’écriture d’Espérer Sombrer est ancienne. Néanmoins, l’album vient de sortir donc on a aussi encore envie de le faire écouter sur scène.
Rémi : On s’échappe d’Espérer Sombrer quand on compose quelque chose d’autre. Ainsi, quand on y revient, les morceaux retrouvent une certaine fraîcheur.
Un clip de prévu ?
Rémi : Deux choses sont en cours : le clip de "Nous, si photosensibles" qui est en train de se monter, avec une sortie prévue pour le 15 septembre ; et le montage de la vidéo de la release party qu’on a faite sur Lyon le 16 mars.
Aurélien : On a pour habitude de filmer tous nos concerts, pour pouvoir débriefer et s’améliorer. Donc il était nécessaire qu’on puisse immortaliser ce qui s’est passé lors de cette présentation.