Cela faisait des années que nous n'avions pas mis les pieds à la Villette Sonique. La raison ? Les dates elles-mêmes du festival tombaient souvent pendant d'autres manifestations comme This Is Not a Lovesong à Nîmes ou encore le Wave Gotik Treffen de Leipzig, mais aussi parce que la programmation en elle même se révélait de moins en moins attractive.
Au départ, Villette Sonique, sous la houlette du directeur artistique Etienne Blanchot, avait dès la première édition de 2006 défendu un esprit éclectique, pointu et défricheur, tourné vers les recherches sonores. Un peu dans la lignée de Sonic Protest, on pouvait y voir des artistes rares sur les scènes françaises et des têtes d'affiche que beaucoup d'autres n'auraient pu se payer : Nurse With Wound, Diamanda Galàs, Throbbing Gristle, Matmos, Bernard Parmeggiani, Faust, Devo, Pan Sonic, Liquid Liquid, Young Marble Giants, The Fall, Chris & Cosey, Swans, The Flaming Lips, Slowdive, Factory Floor, Einstürzende Neubauten et tant d'autres.
Y retourner était l'occasion de se rappeler quelques uns de ces grands moments et de voir ce que la manifestation était devenue. Et pour dire vrai, le seul réel motif de notre déplacement à Paris était la performance de Tim Hecker avec le Konoyo Ensemble pour la soirée d'ouverture du jeudi 6 juin. Déjà, son neuvième album Konoyo m'a littéralement hanté depuis sa sortie en septembre dernier, suivi par Anoyo paru ce mois de mai. En deux décennies, le Canadien est devenu une des figures les plus respectées de la musique électronique ambient, s'avérant particulièrement doué dans la recherche d’atmosphères aux inclinations éventuellement post-apocalyptiques, tout en se renouvelant avec chaque nouvel opus.
À peine mon train arrivé et ma valise posée, je fonce au Cabaret Sauvage. La chose importante que j'avais oubliée : le Parc de la Villette est un vrai labyrinthe et, si l'on se trompe d'entrée, se perdre est facile. Il me faudra plus d'une demie heure avant de trouver le lieu du concert et j'arriverai trop tard pour assister au concert de Kelly Moran, après avoir retrouvé quelques amies à l'entrée.
Le festival commence donc pour moi au son de Mondkopf, alias Paul Régimbeau, dont la musique, dense et immersive, est loin de se limiter au territoire ambient. Une densité quasiment noise par moments. La dimension mystique développée sur They Fall, But You Don't et ses productions suivantes, atteint ainsi une force assez terrassante et bien rendue par l'acoustique du lieu, mais desservie par des images cliché de nature et un ordinateur faisant apparaître des fenêtres intempestives. Une bien belle entrée en matière avant d'être scotché sur place par le rituel mis en place par Tim Hecker et l'ensemble Konoyo.
Déjà, on m'avait prévenu qu'il s'agissait là d'une des meilleures performances ayant eu lieu au festival Primavera, mais la réinterprétation des pièces musicales de l'album est d'une telle finesse que c’est comme tout découvrir à nouveau. Les deux interprètes asiatiques mêlent ainsi des flûtes étranges dont les sons rappellent des bruits blancs électroniques avec des percussions minimales et des chants évoquant autant les rituels tibétains que la bande originale du film Akira. Cette musique élégante et précieuse n'est autre que du gagaku, joué traditionnellement dans les cours impériales. Instruments anciens et électroniques se mêlent ainsi avec densité et émotion. La mise en scène est épurée, les gestes lents, savamment étudiés. De son côté, Hecker, longs cheveux blonds et casquette bien vissée, enveloppe le tout dans la demi-obscurité par ses traitements digitaux. On reconnaît ainsi les samples de l'album, totalement retravaillés pour la performance. Si la mort hante profondément le disque Konoyo, l'aspect funèbre atteint ici la beauté pure du vivant. On ressort de ce maelstrom spectral avec la sensation d'être encore dans des mondes oniriques, à la fois inquiétants et enveloppants, et l'on mettra un peu de temps avant de reprendre ses esprits et de pouvoir échanger avec les amis venus partager ce moment. Malheureusement, le service d'ordre se révèlera franchement brutal pour faire déguerpir un public qui souhaite juste prendre un dernier verre avant de reprendre la route. Une minute chrono après avoir commandé une bière au tarif assez épique, je serai ainsi mis dehors comme les autres festivaliers, cherchant un endroit pour faire une after digne de ce nom. J'en trouverai un des plus saugrenus, mais c'est là une autre histoire.
Retour le samedi 8 pour assister aux concerts de plein air. Les déboires de l'organisation vont commencer assez vite après bourrasque et pluie diluvienne qui n'auront duré que dix minutes mais qui auront fait suffisamment de dégâts pour chambouler tout le planning. Deux heures après l'heure annoncée, certains groupes ne seront toujours pas montés sur scène, et aucun message de l'organisation ne nous tiendra au courant des changements de line-up. Au résultat, je ne verrai aucun des groupes notés sur ma liste. En revanche, j'avais oublié à quel point le festival est fédérateur et qu'il est un point de rendez-vous pour tous les Parisiens. Ainsi, je reverrai des tas d'amis ou artistes et je me laisserai aller de rencontres en rencontres jusqu'à finir dans une autre soirée à la Gare Expérimentale, car les attentes et le non respect des horaires auront anéanti toute ma bonne volonté quant à rester sur les lieux du festival, le climat capricieux alternant éclaircie et averse, pas l'idéal donc.
Du coup, je retente le lendemain. Cette fois le planning est respecté. Après le son sympathique de la formation post-punk canadienne Corridor à la Prairie du Cercle Nord, j'enchaîne avec le second grand moment du festival selon moi : la performance d'Efrim Manuel Menuck, leader de Godspeed You Black Emperor! et A Silver Mt. Zion. L'ambiance est sombre et recueillie sur la Scène Périphérique. Au dessus le flot des voitures semble indifférent à cette suspension du temps et ne rend l'expérience que plus belle encore. Accompagné de Kevin Doria, avec qui il vient de réaliser le disque are SING SINCK SING chez Constellation, il nous présente ainsi ses nouvelles compositions, qui creusent les climats dark ambient et incantatoires du précédent Pissing Stars. C'est recueilli, plaintif, hypnotique, et quand cela s'arrête, on aurait presque voulu que cela dure encore longtemps, tant cette musique dégage une plénitude, nous invitant à un voyage mental des plus enivrant... Encore une fois, les retrouvailles sont nombreuses. On prend des nouvelles des copains et on essaie d'en retrouver d'autres qu'on perd dans la foule. Au résultat, le hasard des rencontres m'amènera une nouvelle fois à faire faux bond au festival et à me retrouver dans une friperie vintage de la rue Moret pour le concert de musique lo-fi expérimentale d'un musicien japonais.
Au final, je garde de cette édition une image fragmentée et parcellaire, et un souvenir précieux des performances mystiques de Tim Hecker et d'Efrim Manuel Menuck.
Pour le reste, je peux tout de même dire que la dimension expérimentale du festival a laissé la place à un esprit plus indie au sens large. Les stands de disques du Village Label ont permis de faire de belles découvertes et Villette Sonique est un rendez-vous qui s'est drôlement élargi en termes de public. J'aurai néanmoins retenu une leçon : toujours arriver en avance et demander le plan détaillé du Parc à l'accueil Porte de Pantin, le meilleur moyen pour s'y retrouver entre les différents lieux du festival.